Un jour
d’été elle se résigna - des
papillons s’envolèrent de l’armoire.
FLAUBERT. Un coeur simple.
L
A petite Jeanne, si elle avait
vécu, aurait fait sa première communion cette
année ; mais voilà passé trois ans,
que le curé est venu la chercher, un samedi de novembre
qu’il pleuvait.
Le jour après l’enterrement, on serra les affaires
de l’enfant dans un meuble, là-haut, et depuis, on
n’a jamais plus touché à ce qui fut
à Jeanne.
Ce dimanche là, pourtant, la jeune femme a voulu tout revoir.
L’horloge sonnait dix heures et son homme venait de descendre
pour aller à grand’messe.
Elle entre dans la chambre que le soleil remplit de sa
lumière.
Elle ouvre l’armoire. Les mites s’envolent.
Tout était resté bien en place.
Sur la planche du dessus, les petites robes repliées
l’une près de l’autre ; à
côté, des chemises et des mouchoirs. Dans le coin,
deux chapeaux, celui du dimanche et celui de tous les jours, recouverts
d’une gaze contre la poussière.
Et à ce moment là, il sembla à la
pauvre mère que sa fille n’était pas
morte. Il lui sembla qu’il était temps
d’appeler Jeanne, de lui boutonner ses souliers, de la
coiffer, de lui mettre sa belle robe pour aller à
l’église.
Pauvre petite, va !
Est-ce possible qu’on ne la revoie jamais plus ?
Un jour, au matin, elle se réveilla avec une toux si
mauvaise : elle râlait, et son visage était tout
rouge.
Une semaine après, on la portait en terre !
Toute la joie de la maison a été
renfermée avec elle, dans le petit cercueil de
chêne qui l’emmena.
… Onze heures sonnaient.
Les gens sortaient de la messe, les femmes s’en allaient au
plus vite pour écumer leur pot-au-feu et peler leurs pommes
de terre ; quant aux hommes, les uns s’arrêtaient
sur la place pour deviser du temps, des pigeons, du nouveau mayeur ;
les autres entraient dans les cabarets pour jouer un piquet et boire
une tournée.
Elle n’a rien vu, n’a rien entendu : pour elle, le
monde, c’est l’armoire de Jeanne.
Sur la planche du milieu, des tabliers, des bas, des nœuds,
un manteau gris d’hiver qui n’a
été mis que deux fois !
Un à un, la mère prend tous les
vêtements, les secoue, fait tomber la poussière
qui volette dans la lumière du soleil, puis les remet
soigneusement à leur place.
Qu’elle donnerait gros pour revoir son enfant assise
à la table, s’esseyant, un doigt sur son livre,
à faire ses lettres sur l’ardoise ; ou bien, dans
la grand’rue, sautant à la corde avec celles de
son âge, ou se balançant sur la chaîne
d’une charrette basculée !
Et le premier bon point que la petite rapporta, toute fière
et toute rouge de bonheur !
Et à la fête, quand Jeanne, vêtue de
blanc, marchait dans la procession avec les plus gentilles de
l’école et semait des fleurs sur les voies du bon
Dieu.
Tout lui repasse ainsi au cœur, avec les bons, les mauvais
jours…
Quelles transes, la fois qu’elle jouait près du
feu et qu’elle se brûla si fort au bras !...
Son père courut tout de suite, au docteur. Et quel coup
quand celui-ci ne put lui certifier qu’elle ne garderait pas
la marque toute sa vie !
Toute sa vie, ça n’a pas été
long…
*
* *
Par la fenêtre au large ouverte, elle n’entend pas
le boulet renverser les quilles, les buveurs rire aux éclats
au comptoir dans les cabarets.
Sur la dernière planche, c’était encore
quantité de choses : des aiguilles à tricoter
dans un petit bas commencé, des ciseaux, un panier, une
poupée sans bras, une balle, des jeux de la Saint-Nicolas ;
et, debout au fond du meuble, un petit miroir que Jeanne avait
gagné aux porcelaines à la fête de
Choquier.
Dans une boîte en carton rose, des médailles et un
chapelet, avec deux images du curé, qui étaient
devenues toutes jaunes…
La mère appuie sa tête contre l’armoire.
Comment est-il possible qu’il y ait d’autres
enfants qui vivent et des parents qui peuvent rire et
s’amuser !
Que peut-elle bien avoir fait au bon Dieu ?
N’a-t-elle pas toujours marché dans le droit
chemin, ne s’est-elle pas toujours conduite comme une bonne
chrétienne.
Midi sonne.
Pendant que tombent les douze coups, on monte les marches et
son homme ouvre la porte tout en demandant : “ Le bouillon
est-il prêt ? „