ELLE n’avait pas vraiment dit : oui. Mais, à la
manière dont elle avait parlé, il me semblait que
j’étais sûr d’être
accepté.
D’abord, elle m’avait répondu
qu’elle
était encore bien jeune pour songer à se marier,
qu’elle se plaisait bien comme elle était,
qu’elle
ne demandait pas à changer, qu’elle
était certaine
de ne jamais plus être aussi bien qu’avec sa
mère ;
puis, qu’elle n’avait jamais
été
courtisée et qu’il fallait qu’elle
ressongeât
à tout cela.
Mais tout de même, quand elle vit que je parlais
sérieusement, tout en me reconduisant sur le seuil, elle me
dit :
“ Je vous donnerai réponse dimanche prochain. Et
ne vous
faites pas des maux de tête : je ne suis pas
méchante.
„
Elle dit cela avec une si douce voix et un si gentil regard !
Il me semblait qu’elle voulait dire :
“ Dimanche prochain, je dirai que je veux bien aussi.
„
*
* *
Dimanche, vers quatre heures, après vêpres, je
montai la route et j’allai jusque là.
J’entrai tout joyeux à la maison.
La vieille Babette était là, toute seule, en son
fauteuil, elle réparait des bas pour passer le temps. Sur la
table devant elle, il y avait la
Gazette de Huy
dépliée, la tabatière et
l’étui de
ses lunettes.
Le coquemar chantait sur le poële, et sur l’appui de
la
fenêtre, le grand chat roux s’étendait
au soleil.
“ Tiens, dis-je à la vieille femme, et Marie,
où est-elle ?
- Elle est partie promener jusqu’au pré Tombeau.
Il ne
tient qu’à vous d’aller la retrouver, si
vous avez
quelque chose à lui dire. Vous reviendrez avec elle pour
boire
le café. „
J’aurais bien embrassé Babette pour ces bonnes
paroles
là. Quelle honnête personne
c’était !
Je pris par la petite porte du jardin et, tout de suite, je fus au
pré Tombeau.
Il faisait un beau temps du mois de Mai. Il me semblait que je
n’avais jamais vu les prés aussi verts que ce
jour-là, que, pour la première fois, je sentais
la bonne
odeur montant des haies et des pommiers et que je n’avais
jamais
vu la campagne toute claire de lumière, s’offrir
d’une pareille façon au soleil, heureuse de
croître
et de mûrir.
Au coin du pré, sur le pignon de la maison de Louis, un
pêcher tendait ses branches chargées de fleurs
roses. Des
hirondelles passaient et repassaient en “
tchiriptant
„ entre les arbres tout blanc fleuris ; et, au loin, entre
les
bouleaux du bois, on voyait reluire le toit de la chapelle.
Il ne faisait pas de vent. Et hors des grandes emblavures de seigle et
de froment qui pointaient, il montait quelque chose de doux et de pur
qu’il faisait bon respirer.
Elle n’avait pas vraiment dit : oui. Mais à la
manière dont elle avait parlé, mais, à
la douceur
de l’air, il me semblait que j’étais
sûr
d’être accepté.
*
* *
Marie était assise sous le gros cerisier bigarreau, faisant
un
bouquet avec la brassée de primevères
qu’elle avait
cueillis le long du bois.
Je lui dis bonjour et allai m’asseoir auprès
d’elle pour l’aider à faire son bouquet.
Après avoir parlé de treize à quatorze
comme elle
ne faisait semblant de rien, il me fallut bien lui demander quelle
nouvelle de la réponse promise.
Elle me regarda, alors, de ses yeux bruns si caressants, et me dit tout
d’un coup :
“ Ne parlons plus de cela, si nous voulons rester bons
camarades.
J’ai changé d’idée : je vois
volontiers Jean
de la Neuville, et je ne me marierai jamais qu’avec lui.
„
Un coup de couteau ne m’aurait pas fait saigner.
Sans pouvoir rien dire, je me levai et redescendis au village.
Je ne sais pas comment je revins en notre maison.
Il ne me souvient plus de rien. Je ne me rappelle qu’une
chose :
c’est d’avoir vu sur la route, un couple qui
s’embrassait en plein soleil, sans faire aucune attention
à moi et aux gens qui passaient….