LECHEVALIER: Jeux et mœurs scolaires d'autrefois
(1902).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (22.V.2012) [Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@cclisieuxpaysdauge.fr, [Olivier Bogros] obogros@cclisieuxpaysdauge.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Les illustrations ne sont pas reproduites. Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm 148) du Pays normand, revue mensuelle illustrée d'ethnographie et d'art populaire, 3ème année, 1902. Jeux
et mœurs scolaires d'autrefois
par Lechevalier Instituteur au Havre ~*~A vrai dire, il n'existait pas
autrefois de jeux « scolaires », attendu que l'on ne jouait pas dans
les petites écoles. Aucun moment de l'emploi du temps, aucun lieu
spécial n'étaient assignés aux ébats des enfants. Quand ils jouaient,
c'était donc loin du maitre, dans la rue ou sur la place publique. Dans
son chapitre : Les Jeux de Gargantua, Rabelais indique plus de deux
cents exercices auxquels se livrait son extraordinaire élève ; M.
Esmangart en a donné un long commentaire dans son édition de Rabelais
publiée en 1823 (t. 1er, p. 393 et suiv.) Nous y relevons seulement les
suivants :
Aux marelles, à croix ou pile, aux martres, à la bille, à picoter, au palet, aux quilles, à la boule plaie, au vireton, à la pyrouette, au court bâton, à cline mucette, à la foussette, à la soulle, au ballay, au chevau fondu, au propous, au chapifou, à colin-maillard, à la crosse, au billeboucquet, aux mestiers. Sans sortir de Normandie, les œuvres de nos écrivains de clocher permettraient une étude complète de jeux d'autrefois. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Les petits Cauchois d'il y a cinq cents ans connaissaient la balle, les quilles, les barres, voire même les exercices militaires. Ils sautaient, riaient, dansaient et dénichaient les nids tout comme ceux d'aujourd'hui. On en trouve la preuve dans un passage du Chemin de vaillance, poème qu'un trouvère normand, Jean de Courcy, achevait à Caudebec-en-Caux en 1406. Nous transcrirons le portrait qu'il nous a laissé de l'enfant en âge de puéritie, c'est-à-dire de sept à quinze ans :
Vestu de longs vestemens
Et désirant esbatemens, Une pelote (1) en sa main De laquelle, soir et matin, II se jouoit par druerie Querant d'enfans la compaignie : Comment à l'école aloit Et souvent chantoit et baloit, Se gouvernoit sans terminer Et se jouoit à toupiner (2), A crocer (3) avec ses semblables Et conter choses délitables A ceulx qui de son temps estoient, Et o (avec) lui souvent s'esbatoient ; Par ces chemins, par ces voyes, Queroient des nids par les hayes, Faisoient chapeaulx par ces bocages Et se gisoient as ombrages, Faisans poirée de fleurettes Et d'herbes verdes nouvelletes ; Puis portoient armes et bougons Cueilloient feugières et jons Pour soubs eulx faire la jonchée, Et jouoient a chiere liée, Aux barres (4), aux tiers, à la quille Puis ris et sault, puis court et brille (5). Deux autres sources, très précieuses pour notre sujet, sont deux compositions, d'origine également normandes, mais très dissemblables d'allure et d'importance : La Fricassée crotestillonnée et la Muse normande. La Fricassée (6) est un singulier opuscule où sont réunis les dictons et proverbes en usage au milieu du XVIe siècle parmi les enfants de Rouen et la basse classe de la population. C'est une compilation sans autre lien que la fantaisie de l'auteur, « une maladroite imitation du style de Rabelais dans les passages les plus fantasques de cet écrivain désordonné, une production peut-être unique en son genre d'une littérature infime recueillie, il faut bien l'avouer, dans ces bas fonds d'où il semble que tout instinct poétique soit à jamais exclu. » La Fricassée n'est pas évidemment un livre « à l'usage de la jeunesse » ; mais la grossièreté n'en a rien de forcé dans la bouche des poissonnières de la ville de Rouen et elle est très naïve dans celle des bambins qui jouaient autour d'elles. Un dialogue d'une douzaine de lignes va nous initier aux jeux habituels de cette marmaille :
..... Vestu ioüer à passer le balleil,
Au vireton (7), au merelles (8), au quilbocquet (9), A callifourquet, au real, au cheval saint George (10), A la fossette (11), aux iouquets, à la pouldrette, A la chuche pinnette, au parquet, à fouquet. Aux matres (12), aux épingues, à binder, Au coulombier, à corne corne de cerf, A pic à romme (13), à la croisette, au bonnet, Au capifol (14), à bibi ma cômère, A bloquer (15), à pin pin malo, à malinne caa, Au quillard (16), à ballotter... A branler au grenier, à la bru, au pied demouque, Aux elfes (17), & cetera (18). Dans le même recueil incohérent, nous relevons encore d'autres divertissements enfantins : Les bulles de savon :
Va querir des fetus, iay du savon
Et des cloquettes il ferons. (p. 19). Un auteur du même siècle montre les plus avisés, parmi les garçonnets, faisant des « bouteilles » avec
Savon destrempé en eau claire.
Le corbillon : « Le corbillon, qui met-on... » (p, 26). Molière fait dire à l'un de ses personnages :
Et s'il faut qu'avec elle on joue au corbillon
Et qu'on vienne à lui dire à son tour: « Qu'y met-on ? » Je veux qu'elle réponde : « Une tarte à la crème ! » Le court fétu :
Veu tu iouer au pie de mouque
Ou au court fetu pour qui lera ? (p. 23). La climuchette (p. 13) ou cligne-musette. Les enfants s'étant cachés en avertissaient le joueur resté à la cligne par ces mots :
Cou cou babelou,
Chest fait demuchez-vous. (p. 28). Le pied de bœuf : Et de neuf ie retiens men pié de boeuf. (p. 11).
Le même jeu se retrouve dans la Muse Normande (III, 276). Le porc brûlé :
Veû tu iouer au porc brulé, ouy,
Chouche tay sus le ventre. (p. 19). Le gal ou la poule : Veu tu chrocher pour qui era le gal ? (p, 23).
« Courir la poule » était un des jeux favoris des écoliers d'autrefois. M. de Beaurepaire en relève une mention dans les Fastes de Rouen, d'Hercule Grisel, A Dieppe, le maitre d'école doit quatre coqs au bateau-passeur quand les jeux sont à l'école, « et en sont francs audit batel tous les écoliers de Dieppe. » Des écoliers de Préaux se disputent en 1478 à l'occasion de la « choulle du coq ». Dès le XIIIe siècle, une rente de deux chapons est due aux enfants de l'école du Mont-Saint-Michel. Un aveu rendu par le fief de Montgardon en 1398 mentionne : « Item audit terme de Noël deux coqs à jouster pour les enfans alans à l'escole. » Le même jeu était en faveur hors de Normandie, en Champagne comme en Guyenne (19). Terminons l'examen de notre curieuse Fricassée en relevant encore les jeux de sauterelle, de toupie et de voleur :
Ren-tay, laroom, ie suys Janderme ! (p. 14).
De la Muse Normande, recueil des œuvres de David Ferrand publié par la Société des Bibliophiles rouennais avec annotations de M. Héron, nous retiendrons la ballade suivante composée à l'occasion du retour en faveur du jeu de bilboquet, appelé, au dire de l'auteur, à détrôner tous les jeux alors en vogue.
BALLADE
Adieu cardot, adieu noüyas (20), Adieu villetons (21), adieu quilles, Adieu boules (22), adieu queuilles, Adieu croches & martingas (23), Adieu toupins, employ des bras, Brindolles, totons à l'antique, Adieu scobres à mettre bas (24); Le Bilboquet r'est de praticque. Le z'éfans dans leu petis esbas Ne veulent pu de ches guenilles. Il n'est pas mesme iusqu'o filles Qui des matres ne font pu cas. Quand y sont tretous en un tas. Ch'est à qui s'y fera la nique, Trouant qu'avec beaucoup d'apas Le Bilboquet r'est de praticque. Vo le prendriez bien pour des cas Qui se iouent aueuq des billes, Quand de leu boulleltes sublilles Ils estrappent les pu lourdas. Ils duppent ceux qui n'en ont pas ; Mesme les courtas de bouttique Font vais qu'en fesant le nigas Le Bilboquet r'est de praticque. La fronde n'était pas particulière aux gamins de Paris ; les polissons de Rouen, leur élingue à la main, remplissaient de tourments les bourgeois attardés,
« ……… évitant les cailloux,
Car bien mille garchons estriquant de z'élingues, S’entrecassets les bautfre & fezets de grands trous. Craignant chefs prunes là, il devalis la plaine. » (t 1, p. 137). L'hiver ramenait les balles de neige pour les plus belliqueux, et pour les inoffensifs les boules que l'on grossit en les poussant devant soi :
Comme dedans l'hyver, dans la cour du Colliège
Les petits escoliers roulent par passe-temps Queuque petit balon qui se grossit de neige... (t. lit, p. 171). Les fillettes connaissaient le ménage et les propos rompus. Notre collègue M. Beaucamp a signalé, dans la collection du Magasin pittoresque, deux estampes ou planches populaires éditées à Paris, vers la fin du XVI siècle, où se trouve figurée la plus grande partie de nos jeux d'enfants (25). Nous y relevons : Le carreau :
Que les lacquets ont toujours au cerveau
Pour y jouer en attendant leur maître. Les joueurs lancent une pièce de monnaie dans un carré ou dans un cercle tracé sur le sol. La crécelle, la canonnière (26), les moulins en papier, le palet ou bouchon (ou butte dans le pays de Caux) n'étaient pas moins familiers aux écoliers du moyen-âge. Gargantua connaissait aussi la paume, la pile trigone ou jeu de paume à trois personnes placées au sommet d'un triangle. Nous ne prétendons pas donner ainsi une description complète des jeux d'autrefois qui sont encore ceux d'aujourd'hui. Avec ses jeux, le bon vieux temps nous a transmis ces sortes de récitatifs que l'on scande, au début de la partie, pour assigner sa place à chacun des joueurs. Les enfants étant groupés en cercle, le loustic de la bande, en récitant sa formule, touche chacun d'eux au fur et à mesure qu'arrive dans le rhythme une syllabe fortement accentuée. Celui sur qui tombe la dernière syllabe se trouve désigné pour le poste à décerner. On serait bien embarrassé de donner un sens à la plupart de ces petites compositions ; il n'en est pas moins curieux de remarquer combien elles sont vivaces pour s'être transmises jusqu'à nous. La Fricassée nous en offre plusieurs exemples :
Iay mangé un œuf,
La lange d'un bœuf, Quatre vingt moutons, Autant de chappons, Vingt congnons de pain, Ancore ayge fain... (p. 25). Je regardy par un butel Ie vis Judas qui rotisset Ie lys demandys un lardon, Il me bailla un coup de batom. (p. 22). On connaît encore, en Normandie, la citation commençant par ces mots :
Ung loup passant par ung desert… (p. 26)
qu'il faudrait traduire en latin pour reproduire jusqu'au bout. Un autre caractère de ces dictons, c'est d'être les mêmes, à de très légères variantes près, d'un bout de la France à l'autre. L'Intermédiaire des Chercheurs a recueilli à cet égard les témoignages les plus concluants. S'agit-il de jouer à la cligne-musette ! Il n'est pas un gamin de nos environs qui ne sache débiter cette formule :
Climuchette de Paris,
Prêtez-moi vos souliers gris, Pour aller en Paradis. Paradis est si joli Qu'on y voit des pigeons d'or. Pigeon d'or est habillé Comme un prince qui va chanter. Présidi, Présida, La plus belle La voilà. Les écoliers de Bordeaux s'expriment ainsi :
Petit' dame de Paris,
Prêtez-moi vos souliers gris Pour aller en paradis. - Le paradis n'est pas ouvert, Allez en enfer. A Toulouse :
Marguerite aux fleurs de lys,
Prête-moi tes souliers gris Pour aller au Paradis. Aujourd'hui qu'il fait si beau On y voit des p'tits oiseaux. Le bon Dieu dans sa chapelle, Allumant ses trois chandelles Pompon d'or, La plus belle (bis) Pompon d'or La plus belle Sort dehors. Veut-on d'autres exemples de cette similitude, assez difficile à expliquer, dans les boniments des écoliers du Nord et du Midi ? Un chercheur de la Haute-Marne a recueilli celui-ci :
Un p'tit coq
Sur un mur Qui picott' Du pain dur, Picotin, Marjolain, Prends ta femme Et va-t-au vin ! En d'autres endroits, au Havre, comme dans le Blaisois et l'Anjou, on dit, moins... poétiquement :
Une poule sur un mur
Qui picote du pain dur. Picoti, picota, Lève la queue et puis t'en va. Dans le Luxembourg belge, la finale est :
... Lève ta queue et saute en bas !
A Bordeaux :
... Adieu poule, je m'en vas !
De la Haute-Marne, de la Côte-d'Or, de la Seine-Inférieure, et d'ailleurs bien certainement, sont les formules suivantes :
Une souris verte
Qui courait dans l'herbe Je l'attrape par la queue, Je la montre à ces messieurs. On y entre et on en sort La plus belle est en dehors. Un i, une l, Ma tante Michel, Qui file la laine, Le fin coton, Tirez-vous donc. Nous tenons de M. Omont, le doyen des instituteurs de la Seine-Inférieure, la variante suivante qui avait cours il y a quatre-vingts ans dans le canton de Saint-Romain :
Un i, une l,
Ma tante Michel Des pois crochus Madame la bru Monsieur l'brument L'oreille lui pend Et l'autre lui dresse Qui fait vignette. Celle-ci est également commune à la Normandie et à la Guyenne :
Un, deux, trois,
J'm'en allais au bois, Quatre, cinq, six, Pour cueillir des cerises, Sept, huit, neuf, Dans mon panier neuf. Dix, onze, douze, Elles étaient toutes rouges, Treize, quatorze, quinze, J'étendais du linge, Seize, dix-sept, dix-huit, Je mangeais des huitres, Dix-neuf, vingt Je buvais du vin. Dans le même ordre d'idées, on pourrait collectionner les chansons à danser en ronde :
J'ons un beau château,
Chez ma tante, vire, vire, J'ons un beau château, Chez ma tante virago ! etc. Cette ronde se chante aujourd'hui, comme il y a cinquante ans et davantage. Aux environs de Langres, et nécessairement ailleurs, les enfants, se tenant par la main, marchent deux à deux en chantant :
Mon père était cordonnier,
Ma mère était demoiselle... Puis ils tournent brusquement sur eux-mêmes en disant :
Tourne la ficelle !
Entend-on le glas funèbre à l'église du village ? Nos écoliers y adaptent ces paroles et l'accompagne en cadence :
Petit ciseau
D'or et d'argent Ta mère t'attend Au bout du champ Pour y manger Du lait caillé Que les souris Ont barbotté... Si nous voulions étudier plus avant ces premiers élans spontanés vers la poésie, car tout est rhythme et consonnance dans ces compositions, nous rappellerions ce catéchisme travesti et très irrévérencieux que les écoliers se récitent.. . de si longtemps qu'il n'est mémoire du contraire :
D. Etes-vous chrétien ?
R. Non, mon père n'en a point le moyen. D. Qu'est-ce que l'église ? R. C'est une grande maison sans ch'minée, Qui nourrit des fainéants tout' l'année… Où les écoliers manifestent des idées moins subversives, c'est dans les inscriptions qu'ils placent en tête de leurs livres de classe. Longtemps avant la déclaration des Droits de l'Homme, le respect dû à la propriété individuelle avait été proclamé en des quatrains plus ou moins comminatoires. C'est une banalité de reproduire le suivant :
Si tenté du démon
Tu dérobes ce livre, Apprends que tout fripon Est indigne de vivre. Il rappelle assez le « fripon » que les potaches dessinent se balançant au bras d'une potence avec ces mots :
Aspice Pierrot pendu
Quod librum n'a pas rendu. Si Iibrum reddidisset Pierrot pendu non fuisset. Plus souvent, l'enfant préfère l'une des formules suivantes où il peut insérer son nom :
Ce livre appartient à son maitre
Qui n'est ni capucin ni prêtre En cas de perdition, X... est mon nom. Ou encore :
Ce livre appartient à son maître
Qui n'est ni capucin ni prêtre. Si vous voulez savoir son nom, Regardez dans ce petit rond. Et dans le « petit rond » vous lirez les noms, prénoms et adresse par rue, numéro et étage du propriétaire du livre. Encore un ex-libris que tous nous avons griffonné :
Ce livre est à moi
Comme Paris est au Roi ; J'aime autant mon livre Comme le Roi aime sa ville. Si vous voulez savoir mon nom Regardez dans le « petit rond ». Et dans le « petit rond », cette fois, l'espiègle vous indique un renvoi pour une autre page, laquelle, avec beaucoup d'excuses, vous renvoie â une troisième et ainsi de suite indéfiniment. A ces innocentes élucubrations se rattachent les dictiers, farces ou compliments que les enfants récitent ou psalmodient à différentes époques de l'année, Noël, Pâques, le nouvel an ou le carnaval. Les dictiers de Noël, en Basse-Normandie, se chantaient dans la soirée du 25 décembre à la porte des principales habitations ; les petits quêteurs recevaient en retour quelque pièce de monnaie. Le sire de Gouberville écrivait dans son journal : « Le mardi XXVe jour (de décembre), je ne bougé de céans. Je donnai XV sols en plusieurs fois aux enfants qui vindrent chanter des dictiers. » C'est ce qu'on appelle, au nouvel an, les aguignettes, mot auquel les savants ont donné une dizaine d'étymologies sans certitude d'avoir trouvé la bonne. M. Georges Dubosc a relevé la version chantée dans le pays de Caux :
Aguignette à fleur de lys,
Quand j'irons en Paradis Entre Pâques et Noël, Il y fait si bon, si bel, Y a ma sœur Madeleine Qu'en est la plus certaine ; Elle y roule sa brouette, Tout le long du Paradis Donnez-moi mes aguignettes En l'honneur de Jésus-Christ Aguignolà ! Moisant de Brieux, qui écrivait ait XVIIe siècle ses Origines de quelques locutions, a relevé d'autres refrains d'haguignettes en usage parmi les enfants de Rouen. Les promenades aux flambeaux, le soir de l'Epiphanie, sont trop bien conservées dans nos cités pour qu'il soit besoin d'en parler autrement. Une autre coutume, particulière aux campagnes et non moins pittoresque, est celle des farces qui se débitent aux jours gras. Après avoir lancé cette question : Voulez-vous que je vous dise ma farce, la maitresse ? » Les enfants enlonnent leur refrain de quête commençant en général par ces mots :
J'ai des miettes dans ma pouquette,
Pour nourrir ma p'tit' poulette..., encore un refrain qui nous vient directement de la Fricassée crotestillonnée :
lai du pain à ma pouquette…
En résumé, et pour revenir à nos petites écoles que nos bambins désertaient si volontiers à ces diverses époques, et où ils s'ennuyaient si bien d'un bout de l'année à l'autre, les jeux sont certainement, parmi les traditions enfantines, celles qui ont subi le moins de transformations. Mais ces traditions ne sont-elles pas à la veille de disparaître ? Nos écoles modernes sont pourvues de cours de récréation ; des emplois du temps, fort bien établis, assignent aux exercices physiques des heures déterminées. Malgré cela, on ne joue pas dans nos écoles, on n'y joue plus comme il y a vingt ans. Dans les grandes villes, l'espace fait défaut, et les maîtres ont le juste souci de graves responsabilités ignorées de leurs aînés. On ne joue plus à la maison ; les sensibles mamans se pâment en voyant au front de leurs chérubins une bosse qui représente la monnaie de la pièce dont ils viennent de gratifier un camarade. Sans tomber d'un excès dans un autre, il serait bon de réagir contre ces tendances. Certes, les écoliers d'autrefois avaient à se dédommager des longues heures d'immobilité passées à l'école ; nos classes sont moins lugubres et autrement animées. Mais il n'en reste pas moins vrai que le jeu libre et désordonné, les cris et les rires éclatants concourront toujours à la santé morale et intellectuelle autant qu'à la santé physique. Aujourd'hui surtout, qu'une cause nouvelle de dégénérescence, l'alcoolisme, pour l'appeler par son nom, frappe les hommes de demain avant même leur entrée dans le monde, on ne doit négliger aucun des moyens capables de développer chez l'enfant l'activité sous toutes ses formes.
LECHEVALIER,
Instituteur au havre. NOTES : (1) Rabelais connaissait la balle ; mais Gargantua jouait aussi « à la grosse balle et la faisoit bondir en l'aer aultant du pied que du poing » C’est le foot-ball que nos bons voisins nous ont retourné comme un jeu de leur invention. (2). Le toupin ou toupillon, ou sabot, est une espèce de toupie que l'on fait marcher avec un fouet. On lit dans La Fricassée crolestillonnée :
Veu tu iouter pour la brindolle
(3) Jouer à la crosse ou croche. Le but des joueurs est de s'emparer
d'une boule qu'un joueur jette en l’air, à hauteur d'homme, et un autre
joueur, placé en face, frappe au vol, à l’aide d'une espèce de crosse
et lance au loin. En rapprocher le jeu de mail ou crocket, et celui de
la soule ou de la choute, très usité autrefois eu Normandie et en
Bretagne.Et choquer pour le toupin? (p. 20). (4) Gargantua « jouait aux barres avecques les plus fortz ». - « Je sis sus tes barres guillot. » (La Fricassée, p. 8). (5) L'ABBÉ DELARUE, Histoire des Bardes, Jongleurs et Trouvères. (6) La Fricassée crolestillonnée, des; an!iques modernes chansons leux, & menu fretel des petits Enfans de Rouen, tant jeunes que vieux, que grands, que longs, que gros gresles de tous estats, & plusieurs autres, mis & remis en beau désordre, par une grande herchelée des plus memoriaulx & Ingénieux Cerveaux de nostre année, lesquelz en ont chacun leur paillée, comme verrez cy derriere si vous n'estes aveugles. - A Rouen, chez Abraham le Cousturier, MVICIIII, réimprimée de nos jours à Rouen par la Société Rouennaise des Bibliophiles. (7) Le viroton était une petite flèche qui virait et tournait en l'air à cause des ailerons qui y étaient attachés. (8) On lit dans la Muse Normande, t. 1, p. 3 :
Le poure n'est qu'un niquet de merelle.
« S'agit-il du jeu bien connu des enfants qui consiste à pousser, en
sautant à cloche-pied, un fragment de tuile ou tout autre objet plat dans les divers
compartiments de la marelle qu'ils ont tracée sur le sol, on d'une sorte de jeu qu'on jouait avec
des disques semblables à nos dames et qui étaient faits de cire, de carton, de plomb ou de
cuivre? (T. Godefroy, Dictionnaire de l'ancienne langue française, Voir merelle). Nous
croyons qu'il s'agit de ce dernier jeu : le niquet est le disque, et les mots enquairer,
desquairer, sont des termes qui se rapportent à ce jeu. » (Note de M. Héron, Muse Normande, t. 1,
p. 185-186). Dans le pays de Caux, la marelle s'appelle encore la gatte ; l'auteur
de La Fricasséeconnaissait l'expression :L'on sait qu'il a un sout à l'esquerchelle, No le verra enquairer, desquairer.....
A la Batte qui passe de huit pert (p. 23).
La Muse Normande rapporte un autre mot : danser devant la gatte ; qui
a la même origine.(9) Bilboquet. (10) Ou cheval fondu ? (11) Trou que les enfants creusent dans la terre pour jouer aux billes. Dans le Médecin malgré lui, acte 1, scène V, Molière parle d'un petit enfant qui tomba d'un clocher : « Notre homme... le frotta par tout le corps d'un certain onguent qu'il sait faire, et l'enfant aussi se leva sur ses jambes et courut jouer à la fossette. » (12) On joue aux matres avec de petites pierres rondes qu'on jette en l'air comme les Osselets. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui jeu de « mats », mot dérivé de matre. A Rouen, dit M. Héron, les jeunes filles le jouent avec les osselets de mouton que l'on trouve à l'extrémité de l'os du gigot. (Muse Normande, t. III, P. 466-468). C'est le même jeu que Rabelais désignait sous le nom de tales. « Si vous estiez clerc, disait Panurge â Gargantua, vous sçauriez que ès membres plus inférieurs de ces animaulx divins, ce sont les piedz, y ha ung os, c'est le talon, l'astragale, si vous voulez, duquel l'on iouoit anticquement au royal ieu des tales auquel l'empereur Octavian Auguste ung soir guaingna plus de 50,000 escuz ». (Livre IV, chap. VII). ... Les jours de pluie, Gargantua et son précepteur « revocquoyent en usage l'anticque ieu des tales... » (Livre ler, chap. XXIV), etc. (13) Rabelais cite aussi ce jeu de picquarome ( ?) (14) Capifol ou colin-maillard. (15) La bloquette est un jeu de billes. On jette les billes dans un trou et on gagne ou perd suivant que le nombre sorti est pair ou impair. (16) Quillard, quillet, pirouette ou basculot-; petit bâton taillé en pointe des deux bouts et que l'on fait sauter à l'aide d'un autre plus long. (17) Jouer aux elfes parait être ce qu'un auteur du XVI siècle appelle jouer aux esteufs, c'est-à-dire aux billes comme dans la fossette. (Magasin pittoresque, année 1886, p. 219-221). (18) La Fricassée, p. 6-7. (19) Cf Léopold DEBILO, Condition agricole, p. 185-187. (20) Les noyaux se dit d'un jeu pour lequel on se sert de huit noyaux noirs d'un côté, blancs de l'autre, que l'on jette en l'air. (Littré). (21) Viretons. (22) Le jeu de boules est bien plus un jeu d'hommes qu'un jeu d'enfants. Cependant, il est représenté dans une plaquette intitulée : L'Exersice des Enfants de Rouen, composée de neuf planches gravées par un Rouennais en 1631. V. Précis de l'Acad. de Rouen, année 1893-1894, p. 292. (23) Croches ou crosses. La martingale consiste à doubler sa perte. (24). Scobre peut venir du latin scrobis, fosse : ce serait la fossette. (Héron). (25) Magasin pittoresque, année 1886, p.219-221. (26) Canonnière, tige de sureau débarrassée de sa moelle ; deux balles d'étoupe se chassent l'une l’autre par l'air comprimé à l'aide d'un dépoussoir ou sorte de piston en bois. |