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A. Tissot : Note sur la biographie et les travaux de Victor Leroy, botaniste et horticulteur, né à Lisieux, introducteur en Europe d'un grand nombre d'arbres, arbustes et végétaux d'origine américaine (1877)
TISSOT, Amédée (1816-1887) : Note sur la biographie et les travaux de Victor Leroy, botaniste et horticulteur, né à Lisieux, introducteur en Europe d'un grand nombre d'arbres, arbustes et végétaux d'origine américaine : Lecture faite à la séance de la SOCIETE LINNEENNE DE NORMANDIE, tenue à Lisieux le 24 juin 1877.- Lisieux : Typ. Lajoye-Tissot, [1877].- 12 p. ; 24 cm.
Saisie du texte et relecture: M. Dubosc pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (15.I.2001)
Adresse : Bibliothèque municipale, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.66.50.- Minitel : 02.31.48.66.55. - Fax : 02.31.48.66.56
Mél : bmlisieux@mail.cpod.fr, [Olivier Bogros] bib_lisieux@compuserve.com
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Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la bibliothèque (BmLx : br norm 110).
 
NOTE
Sur la Biographie et les travaux de Victor LEROY
BOTANISTE et HORTICULTEUR, né à LISIEUX
Introducteur en Europe d'un grand nombre d'Arbres, Arbustes et Végétaux d'origine américaine
 
Lecture faite à la séance de la SOCIETE LINNEENNE DE NORMANDIE, tenue à Lisieux le 24 juin 1877
par
M. Amédée TISSOT
Secrétaire général de la Société de botanique et d'horticulture du centre de la Normandie,
bibliothécaire de la Ville de Lisieux, officier d'Académie, etc., etc.

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Messieurs,
La note dont je vais avoir l'honneur de vous donner lecture a pour objet, en attendant la biographie complète que je prépare en ce moment, de faire connaître un enfant de Lisieux qui a rendu à la science horticole d'incontestables services ignorés encore à cette heure.

Ce concitoyen s'appelle Michel-Victor Leroy. Son nom, à peine connu, mérite non-seulement d'occuper une place distinguée parmi les illustrations de la cité, mais aussi de prendre rang parmi les savants botanistes et horticulteurs dont la France est fière, et dont quelques-uns même lui doivent une partie de leur célébrité. -Eternelle histoire du sic vos, non vobis.
  En retraçant sa vie et ses travaux, c'est donc une œuvre de justice et de réparation que j'entreprends, et j'ai la conviction que vous voudrez bien vous y associer, car j'ai pour garants et votre amour pour la science et votre respect pour tous ceux qui ont contribué et qui contribuent à son développement.

Œuvre de justice et de réparation, ai-je dit ; c'est qu'en effet, Messieurs, il est juste, il est équitable de rendre au savant obscur et ignoré le tribut d'estime et de reconnaissance auquel il a un droit légitime. Rétablir les omissions, rectifier les erreurs commises à leur insu par les générations éteintes, c'est le devoir des générations qui survivent. - C'est ce devoir que j'entends accomplir en revendiquant publiquement pour Victor Leroy, devant une société aussi distinguée et aussi compétente que la Société Linnéenne de Normandie, la part de collaboration qu'il a prise, sans ostentation comme sans calcul, à l'impulsion collective donnée à la botanique et à l'horticulture au commencement de ce siècle.

J'ajoute, Messieurs, qu'en divulguant le nom de Victor Leroy, je remplis aussi une promesse faite, j'acquitte une parole donnée par un autre de nos concitoyens, - un horticulteur également distingué, - par M. Jules Oudin qui fut le confident du respectable vieillard et qui est resté le dépositaire de sa correspondance et de ses notes. C'est à la communication de cette correspondance et de ces notes, jointe à mes propres souvenirs et à ceux aussi de notre savant ami Arthème Pannier - que nous avons tous le regret de ne pas voir parmi nous - qu'il m'a été possible d'écrire cette notice et la biographie complète qui ne tardera pas à être publiée.

De cette biographie, je détacherai seulement les traits principaux avant d'arriver aux travaux de notre concitoyen.

Michel-Victor Leroy est né à Lisieux, paroisse Saint-Jacques, le 7 octobre 1754. Il était l'aîné de deux fils appartenant à une ancienne et honorable famille dont les branches collatérales, encore représentées de nos jours, ont donné à la magistrature un juge éclairé dans la personne de feu M. Leroy-Desclozages, et un notable commerçant dans la personne de M. Thorel, que la mort a récemment enlevé à l'affection de tous.

Elève du Collège de Lisieux, Victor Leroy puisa dans les doctes leçons de professeurs zélés, qui semblent avoir transmis à leurs dignes successeurs le patrimoine de leur savoir et de leur dévouement, une instruction solide qui devint pour lui une ressource féconde au cours d'une carrière fertile en catastrophes, un capital précieux qu'il sut augmenter sans cesse et dont il disposa généreusement au grand profit de la science horticole.

Vers 1775 ou 1778, alors qu'il avait 20 ou 23 ans, Victor Leroy partit avec son jeune frère pour l'île de Saint-Domingue (Haïti), dont on vantait, non sans raison, la merveilleuse fertilité, et sur laquelle la France industrielle et commerçante fixait alors des regards attentifs, tandis que la France politique suivait avec un intérêt passionné les grands événements qui s'accomplissaient sur le continent américain.

Les deux frères, en s'embarquant au Havre, avaient emporté une cargaison composée de divers produits de notre sol normand, et notamment une quantité considérable de poires dites de Bon Chrétien, dont la vente devait couvrir les frais de passage, alors fort élevés. Mais à l'arrivée, pour opérer cette vente, il fallut aux deux jeunes étrangers, inexpérimentés d'ailleurs, recourir à un intermédiaire. Leur choix ne fut pas heureux il s'arrêta sur un homme dont le double titre de français et de normand devait leur inspirer toute confiance, mais qui n'était autre - je suis confus de le dire - qu'un de ces madrés aventuriers qu'on rencontre toujours dans les grands centres de population, un de ces entremetteurs sans cesse à la piste des nouveaux arrivants pour les circonvenir, les exploiter et les duper. La cargaison fut vendue par cet homme, mais les frères Leroy n'en touchèrent jamais le prix.

Ainsi dépouillés des ressources sur lesquelles ils avaient compté, ils exposèrent leur fâcheuse situation à un riche colon de l'île, M. Allègre, qui les accueillit cordialement et leur donna des emplois dans ses vastes exploitations. Leur intelligence, leur activité, leur aptitude, les firent bientôt distinguer de leur patron qui leur confia une certaine étendue de terrain à cultiver pour leur propre compte et leur fournit même l'argent nécessaire à l'achat d'un lot d'esclaves, d'un atelier , comme on disait alors, dont le concours était indispensable pour l'exploitation.

Quelques années plus tard, les deux frères Leroy se trouvèrent en possession d'une vaste propriété, située sur la côte septentrionale du golfe des Gonaïves, à peu de distance de la ville de ce nom, l'une des principales de Saint-Domingue. A leurs plantations de cannes à sucre, ils avaient ajouté des distilleries pour l'extraction du tafia et la fabrication du rhum.

L'entreprise, dirigée avec intelligence, était en pleine prospérité et les frères Leroy avaient acquis une fortune déjà importante, lorsqu'en 1791 éclata la révolution de Saint-Domingue, qui fut le contre-coup de la révolution française, et qui, après avoir duré douze ans et coûté à la France une centaine de mille hommes, se termina par la perte de la colonie.

Les esclaves insurgés incendièrent les habitations de leurs maîtres dans toute l'étendue de la colonie, qui devint ainsi le théâtre sanglant d'atrocités et de pillages sans nombre, l'épouvantable foyer d'un incendie toujours renaissant.

L'établissement des frères Leroy n'échappa point au cyclone révolutionnaire : il fut livré aux flammes ; les plantations furent ravagées, et, ce qui est plus navrant encore, le plus jeune des frères fut massacré sous les yeux de l'aîné, qui n'échappa lui-même au fer des révoltés que grâce au dévouement d'une vieille négresse, la cuisinière de l'habitation.

De sa fortune laborieusement acquise, il ne resta rien à Victor Leroy survivant à ce désastre. Il ne put même pas prendre part à la répartition des cent vingt-cinq millions que le gouvernement de Charles X obtint du gouvernement haïtien en 1825.

Echappé comme par miracle à ce naufrage sanglant de la colonie française, Victor Leroy se réfugia sur le continent américain, à Boston, d'abord, où il se fit professeur, enseignant non-seulement les langues française, grecque et latine, parlant en outre les langues espagnole et portugaise, qu'il avait apprises à Saint-Domingue et dans le cours de ses voyages, pour le compte de sa maison de commerce, sur les côtes de l'Amérique méridionale et de l'Afrique. Appelé à l'Université de Boston, il s'y fit bientôt remarquer, et certaines lettres de ces anciens élèves, devenus de hauts personnages, des dédicaces d'ouvrages, témoignent non-seulement d'une profonde reconnaissance, mais aussi d'un attachement véritablement filial, et le recommandent à tous nos respects, comme ses travaux le signalent à notre estime.

C'est à cette époque, sans nul doute, qu'il fit la connaissance du botaniste André Michaux, que le gouvernement avait chargé, en 1803, d'explorer les forêts de l'Amérique septentrionale, et qui, devenu en 1806, membre correspondant de l'Académie des sciences, entretint avec Victor Leroy une correspondance scientifique et affectueuse, qui ne cessa qu'à la mort de ce dernier.

Quelques années plus tard, Victor Leroy se retira à Baltimore, où il acquit une propriété et se livra entièrement à la botanique, à l'horticulture, n'interrompant ses cultures que pour parcourir les forêts du Tennessee, les bords des lacs Erié et Ontario, les monts Alleghanys, d'où il rapportait ces graines, ces plantes, ces arbustes qu'il expédiait ensuite à Paris ou à Londres, d'où elles se répandaient dans les autres Etats européens.

Avant de revenir se fixer définitivement à Lisieux, en 1831, Victor Leroy avait fait en France quelques voyages, notamment en 1811, en 1817 et 1818, pendant lesquels il avait noué des relations avec les botanistes les plus distingués de cette époque, avec Noisette, avec Grandidier, avec Cels, dont la pépinière de Montrouge était célèbre et qui participa à la rédaction du Code rural ; avec les frères Thouin, avec Bonpland, qui fit, en compagnie de Humbold, un voyage scientifique de cinq ans en Amérique ; avec Descemet, qui devint directeur du Jardin botanique d'Odessa ; avec Desfontaines, de l'Académie des sciences ; avec Lechevallier, professeur d'Histoire naturelle ; avec Delarue, Secrétaire de la Société de médecine, chirurgie et pharmacie du département de l'Eure, qui lui remit, le 8 octobre 1918, le diplôme de membre correspondant de cette Société ; avec André Michaux, enfin, qui chercha à le détourner de son désir de venir habiter Lisieux et à l'attirer près de lui à Paris. " J'ai surtout à cœur, lui écrivait ce dernier, le 25 février 1831, une chose dans laquelle j'espère réussir, qui peut-être vous surprendra : c'est de vous prouver que vous ne pouvez pas vous fixer à Lisieux. C'est à Paris seul, où vous jouirez pleinement du bonheur de la vie, considérée sous le rapport de la science et des arts.

Votre temps sera bien employé à assister ou mieux encore à coopérer aux travaux de la Société royale et centrale d'Agriculture, de la Société d'Horticulture, de celle d'Encouragement pour l'Industrie et même aux séances de l'Académie des Sciences. Je vous présenterai, et, de suite, vous serez admis partout. "

Ces relations suivies, cette insistance d'André Michaux à attirer à Paris notre concitoyen, au moment où il songeait à revenir au pays natal, indiquent clairement que Victor Leroy était tenu en haute estime par nos savants botanistes et horticulteurs, et que son savoir et ses travaux étaient grandement appréciés.

C'est qu'en effet, Victor Leroy était un esprit distingué. Très- lettré, doué d'une mémoire prodigieuse, qui lui permettait, à quatre-vingt-quatre ans, de réciter encore des pages entières d'Homère et de Virgile, de Corneille et de Racine, il s'exprimait avec une lucidité parfaite et racontait ses voyages et ses aventures avec une bonhomie charmante, dont le souvenir n'est point effacé de la mémoire du petit nombre de ceux qui l'ont connu.

Aussi, Messieurs, serez-vous surpris, comme moi, comme M Jules Oudin, que le nom de cet homme instruit, de ce savant, aussi distingué que laborieux, non-seulement ne soit pas connu de ses concitoyens, mais n'ait jamais été prononcé dans les ouvrages ou les mémoires des botanistes et des horticulteurs avec lesquels il entretenait des relations très-actives et très-importantes au point de vue de la science ?

Un seul botaniste a parlé de lui, et ce botaniste n'est pas un Français. C'est un savant étranger, et c'est avec une vive satisfaction que je constate que cet étranger est un Italien, M. Bonafous, directeur du Jardin botanique de Turin. Il a cité avec éloges le nom de Victor Leroy dans son rapport à l'Académie des Sciences de cette ville sur le Maclura aurantiaca, dont je vais avoir bientôt l'occasion de vous parler.

Quoi qu'il en soit, l'insistance d'André Michaux ne parvint point à amener Victor Leroy à Paris. Atteint par la maladie, en 1831, alors qu'il avait soixante-seize ans, notre concitoyen, croyant entrevoir sa fin prochaine, et voulant mourir sur le sol natal, réalisa en toute hâte sa modeste fortune et revint à Lisieux, chez Mme Leroy-Desclozages, sa cousine. Grâce aux bons soins qu'il trouva dans cette honorable famille, et aussi dans sa vigoureuse constitution, sa santé se rétablit promptement et il vécut encore dix années, pendant lesquelles sa passion pour l'horticulture ne cessa de se manifester. Il ne se passait guère de jours, dans la belle saison, qu'il n'allât visiter l'établissement horticole de M. Oudin père, situé alors sur le boulevard Sainte-Anne, donnant à M. Jules Oudin des conseils, des encouragements, des leçons instructives, qui n'ont pas peu contribué à développer chez l'habile horticulteur de la Pommeraye l'amour passionné de la science horticole.

Victor Leroy mourut le 7 juillet 1842.

*
**

Après avoir retracé à grands traits la biographie de notre concitoyen, il me reste à vous entretenir de ses travaux scientifiques et à le signaler ainsi au respect et à la reconnaissance de tous les amis de la botanique et de l'horticulture.

Très-nombreuses sont les importations de graines, de plantes, d'arbustes et d'arbres effectuées par Victor Leroy ; elles se chiffrent par plusieurs centaines.

Le peu d'instants que vous pouvez, à notre grand regret, nous consacrer, ne me permet pas de dresser ici cette longue nomenclature. Je la reproduirai complète à la fin de la biographie. Je me bornerai à vous signaler quelques-unes de ces importations, celles qui ont été les plus fécondes en résultats utiles et qui désignent plus particulièrement l'importateur à notre attention :

1° OEsculus rubicunda . (marronnier à fleurs rouges.) - L'une des premières introductions de plantes exotiques faites en France par Victor Leroy, fut celle de l'OEsculus rubicunda, le marronnier à fleurs rouges, qui fait aujourd'hui l'un des plus beaux ornements de nos parcs et de nos promenades. Elle date de 1812. L'OEsculus rubicunda n'est mentionné dans aucun des ouvrages de botanique ou d'horticulture antérieurs à cette date. L'Almanach du Bon Jardinier, rédigé par une société d'horticulteurs, aussi instruits qu'habiles, dit que cet arbre provient de graines données au Jardin-des-Plantes de Paris en 1812, par M. Michaux, qui les avait reçues d'Amérique. Cela est vrai ; mais il aurait dû ajouter que Michaux les tenait de Victor Leroy, qui les avait apportées lui-même à Paris, lors du voyage qu'il fit en France en 1811.

2° Styrax levigata. (L'Aliboufier.)- Dans un envoi fait à Michaux au commencement de 1820, Victor Leroy lui adressait des plants du Styrax levigata, décrit par Aiton, directeur du jardin botanique de Kew (Angleterre), et qu'on désigne plus vulgairement sous le nom d'Aliboufier.
" Des diverses espèces d'arbustes contenus dans les caisses, -lui écrivait Michaux le 5 mai 1820, en lui accusant réception de l'envoi, -ce qu'on a le plus apprécié, est le Styrax levigata, arbuste qui donne de jolis bouquets de fleurs en grappes et qui était devenu fort rare. "
C'était donc une réimportation équivalant à une première introduction.

3° Jeffersonia.- Au commencement d'avril 1822, il adressait à Paris sept caisses qui parvinrent en bon état, - détail qui semble indiquer qu'il n'en était pas toujours ainsi. - Dans cet envoi se trouvaient des pieds de Jeffersonia, plante de la famille des Podophyllées, très-rare, et ainsi nommée parce qu'elle fut dédiée à Jefferson, président des Etats-Unis de 1801 à 1809.
" Les pieds du Jeffersonia, écrit Michaux, étaient tous excellents. J'en ai fait présent d'un en votre nom au Jardin-des-plantes, et un est soigné par Cels pour le jardin botanique de Montpellier. J'en ai donné un autre à un intime ami, amateur pour la culture et l'introduction des arbres et plantes exotiques qui peuvent supporter les rigueurs de nos hivers. Les autres pieds sont à la disposition de notre ami Cels Je l'ai fait aussi participer aux diverses espèces de glands, lui faisant appréciait combien ces espèces sont intéressantes et difficiles à avoir. J'ai envoyé deux caisses en Allemagne, l'une à Stuttgardt, pour le roi de Wurtemberg, l'autre à Darmstadt, pour le Grand-duc régnant. J'attends la réponse et l'argent de ses deux souverains. "
  Nous retrouverons tout à l'heure ces diverses espèces de glands si intéressantes et si difficiles à obtenir.

4° Malus coronaria. (Pommier odoriférant.) Crab-Apples.- Victor Leroy introduisit également, vers 1823, le Malus coronaria, de Linné, autrement dit le Pommier odoriférant que les américains désignent sous le nom de Crab-Apples. Et au sujet de cet arbre, André Michaux lui écrivait, le 12 mars 1824 : " Dès que je pourrai obtenir quelques greffes, je les grefferai sur des paradis, en fente, de sorte que j'aurai de jolis pommiers nains odorants, car je n'ai pas oublié l'odeur délicieuse que répandent les fleurs de ce pommier sauvage. Je vous serai, ajoute-t-il en terminant, redevable de cette douce jouissance. "
  C'est donc bien à Victor Leroy qu'est due l'introduction de cet arbre que Linné avait décrit, que Michaux avait vu dans ses voyages en Amérique, mais dont il était réservé à notre concitoyen de doter l'Europe.

5° Epigoea repens.- C'est encore à Victor Leroy que nous devons l'introduction de l'Epigoea repens, décrit par Linné ; petit arbrisseau, dont les fleurs sont blanches, les feuilles rugueuses et toujours vertes. Il en envoya trois ou quatre pieds en 1824 à Cels, qui les planta et les cultiva avec grand soin. Le célèbre horticulteur de Montrouge appréciait assez vivement cet arbrisseau, pour supplier Michaux de prier Victor Leroy de lui en adresser encore, pour 1825, 150 pieds que se disputeraient les amateurs.

6° Maclura aurantiaca. - L'horticulture est aussi redevable à Victor Leroy de l'introduction du Maclura aurantiaca, Maclure orangé ou doré, dont le bois servait aux Indiens et aux Osages à confectionner leurs arcs, ce qui lui a fait donner le nom vulgaire de Bois d'arc.
  Je vous demande la permission, Messieurs, de retracer l'historique de cet arbre, afin d'établir d'une façon claire et précise que son introduction en Europe est due uniquement à notre concitoyen.

Le Bois d'arc fut rapporté des bords du Missouri par le capitaine Lewis, que le président Jefferson avait envoyé en excursion dans cette contrée. Le capitaine en donna quelques graines à Victor Leroy, ainsi qu'au botaniste américain Micran, avec lequel Victor Leroy était en relations d'amitié et d'études scientifiques.

Victor Leroy cultiva ces graines dans sa propriété de Baltimore, et vers 1815, après s'être assuré que cet arbre n'était ni classé, ni connu en Europe, il le dédia au botaniste Maclur et lui donna son nom.

Dès le commencement de 1820, il envoya des fruits du Maclura à Noisette et à Grandidier, en même temps qu'il expédiait des graines d'autres plantes à Cels et à M. Delarue, d'Evreux.

" J'ai retardé jusqu'à ce moment à vous écrire - lui disait Michaux dans une lettre du 5 mai 1820 - afin de vous informer de l'emploi définitif du bel envoi que vous m'avez adressé. Cet envoi est arrivé le 22 mars au Havre et à Paris le 7 avril. Le lendemain du 7 avril que ces caisses furent en ma possession, j'écrivis aux personnes auxquelles les petites caisses étaient destinées en présent, et elles s'empressèrent de les retirer. J'envoyais de suite à M. Delarue, à Evreux, celle qui était pour lui. Bien certainement dans les deux caisses pour Cels il n'y avait point de fruits de Bois d'arc, Maclura. Ceux de ces fruits qui étaient dans les caisses de Noisette et de Grandidier étaient aussi frais que le jour où vous les avez encaissés; mais le grand chagrin a été que ces fruits étaient loin d'avoir atteint leur maturité, ce qui a été reconnu aprés la plus scrupuleuse investigation. J'ai fait voir ces fruits à nos grands docteurs en botanique qui ont bien reconnu en eux un nouveau genre, New-Genus. Enfin les beaux fruits font vivement désirer cet arbre. Ce sera une bonne fortune le jour où il nous en parviendra soit quelques pieds, soit des fruits bien en maturité."

Le désir des docteurs en botanique fut réalisé deux ans plus tard, en 1822.

Des quelques graines que Victor Leroy avait semées en 1806, trois seulement avaient germé. Les jeunes pieds se développèrent promptement et devinrent très-vigoureux; mais ils ne fructifièrent que la huitième année, c'est-à-dire vers 1814, et les graines n'atteignirent pas la maturité nécessaire pour la germination. Pour multiplier l'espèce et la répandre, Victor Leroy fit développer des jets sur les racines en ouvrant en automne une tranchée relativement profonde autour du seul pied qui lui était resté. Les racines fendues par la bêche et dont la section se trouvait mise à nu, poussèrent de jeunes tiges au printemps suivant. Victor Leroy les transporta après la chute des feuilles, les soigna pendant quelques années en pépinière et les envoya ensuite à Paris et à Londres.

C'est de 1823 que date cet envoi important, ainsi que nous l'apprend une lettre de Michaux, datée de Paris 12 mars 1824 : " Le Bois d'arc, Maclura, dit-il, que vous avez envoyé l'an passé, fait merveille. Certains individus ont poussé l'été dernier (l'été de 1823) de cinq pieds. Ils passent l'hiver à peine couverts. "

Et il ajoute ce trait significatif et précieux pour nous : " Cette précieuse acquisition vous est due "
  De tous ces détails, il résulte donc bien clairement que l'introduction, en France et en Europe, du Bois d'arc est due à notre laborieux concitoyen qui lui donna le nom désormais scientifique de Maclura, et que cette introduction date du commencement de 1823.

Ces détails, M. Jacques, jardinier en chef du roi Louis-Philippe, au château de Neuilly, les ignorait évidemment lorsqu'il écrivait dans les Annales de Flore et Pomone (1832-1833) que le Maclura signalé par Michaux, et dont il avait vu un individu chez Noisette, " paraissait avoir été introduit d'abord en Angleterre en 1824 et quelque temps après en France. " La vérité est que le Maclura a été importé simultanément en France et en Angleterre en 1823 par Victor Leroy l'individu que M. Jacques avait vu chez Noisette provenait de l'envoi dont parle la lettre d'André Michaux.

Aujourd'hui, cet arbre vigoureux, dont les rameaux peuvent croître de deux ou trois mètres dans une seule année, sert d'ornement à nos grands parcs, où ses fruits, de la grosseur et de la couleur d'une orange, produisent le plus bel effet.

Mais ce n'est pas là son unique mérite ; il n'est pas seulement agréable : il est encore utile. Ses feuilles sont excellentes pour la nourriture de vers à soie, et ses rameaux, armés d'épines longues de deux ou trois centimètres, très-aiguës et très-fortes tout à la fois, sont employées dans le Midi à faire des clôtures qui deviennent impénétrables au bout de quelque temps.

7° Vigne Isabelle. - Mentionnons encore parmi les importations dues à Victor Leroy, la Vigne américaine, dite aussi Vigne Isabelle qui s'élève à cent et même cent cinquante pieds de hauteur, et dont Michaux, dans une lettre, datée du 10 mars 1838, dit : " L'intéressante espèce de vigne que vous rapportâtes de Baltimore, et que j'ai multipliée. "

8° Wisteria chinensis, (Glycine de la chine).- Et la Wisteria chinensis, variété de Glycine à fleurs double que peu d'établissements horticoles renferment encore, et dont Michaux possédait en 1837, dans sa propriété de Veauréal, près Pontoise, un exemplaire que Victor Leroy lui avait rapporté à son retour en France en 1831.

9° Chênes. -Mais l'importation la plus considérable au point de vue de la sylviculture et la plus importante comme utilité publique, fut celle de nombreuses variétés de Chênes, d'Ormes et de Végétaux ligneux.

André Michaux avait bien vu ces multiples espèces dans son voyage en Amérique, et il en avait bien donné la description dans son Histoire des arbres forestiers de l'Amérique septentrionale, publiée de 1810 à 1813, mais il n'avait rapporté aucun sujet. Il était réservé à Victor Leroy de faire cette introduction

Au commencement de 1820, il adressa au Gouvernement sept caisses qui ne comptaient pas moins de vingt-quatre variétés de Chênes, parmi lesquelles le Quercus tinctoria, dont l'écorce sert à teindre en jaune ; le Quercus ferruginea, arbre buissonneux qui doit son nom à la couleur rouille de sa feuille d'aspect ferrugineux, et au sujet duquel, le 16 février 1832, Michaux lui écrivait : " Je vous dirai que c'est vous QUI ETES LE PERE DU Quercus ferruginea (Black Jack, en anglais) si remarquable par son singulier feuillage ; le bois de Boulogne est le seul endroit où il existe en Europe. " Le Quercus palustris, qui croît dans les terrains souvent submergés en Amérique, ce qui lui a valu son nom, et qui pousse à peu près partout en Normandie, avec autant de rapidité que le peuplier, témoins les quelques sujets qui se trouvent dans le parc du château de Mailloc ; le Quercus falcata, le Quercus rubra, le Quercus coccinea, dont les feuilles se teintent d'un rouge vif sous l'influence des premiers froids de l'automne. Et encore le Quercus discolor,- Prinus, - castoefolia, - lyrata, - imbricata, - macrocarpa, - nigra, - aquatica, - tomentosa, - laurifolia, - obtusifolia, - Phellos, - Catesboei, - alba, - Banisteri, - vivens, etc., etc.

Ces glands, nous apprend Michaux, dans une lettre du 5 mai 1820, arrivèrent malheureusement trois semaines après le renvoi du ministère de M le comte Decazes, ministre de l'intérieur, grand amateur d'agriculture. " Il a été remplacé, continue Michaux, par M. le comte Siméon, qui est plutôt un financier et entièrement étranger à l'agriculture. Il est donc résulté de mes démarches qu'on n'a pas voulu accepter vos sept caisses pour les deux cent francs de frais que j'ai déboursés … La seule chose que j'ai pu obtenir, çà été de faire semer tous ces glands dans le bois de Boulogne. " Cette plantation a été faite immédiatement à coté de l'endroit où nous avons été ensemble, -vraisemblablement en 1818 pendant le voyage de Victor Leroy en France ; quant à l'endroit ainsi désigné, il se trouvait près de la mare d'Auteil, célébrée par les romanciers et chantée par les poëtes. - " J'ai reconnu le terrain, poursuit Michaux, comme très-favorable, et j'ose espérer que, malgré les sécheresses, nous aurons un succès complet.

" …M. l'intendant des domaines n'a mis d'autre condition à la permission de planter sur le terrain de Sa Majesté que de laisser quelques centaines de pieds de ces espèces exotiques, et que le reste je pourrais en disposer. Enfin, mon bon ami, voilà le résultat de notre dévouement ; mais vous et moi serons heureux de voir prospérer en France ces beaux arbres. Il nous suffit qu'ils y existent sur une propriété publique. Car les arbres les plus beaux et les plus rares qui se trouvent dans les parcs et les jardins des amateurs finissent par disparaître, coupés ou arrachés par les nouveaux acquéreurs. "

Mais le dévouement des deux botanistes ne s'arrêta pas là. Les soins de Michaux furent mis à des épreuves délicates qui se prolongèrent pendant plusieurs années. Ainsi, en 1824, il écrivait à son collaborateur et ami Victor Leroy : " L'intéressante plantation de chênes, résultat de votre envoi il y a trois ans(1821), faite au bois de Boulogne, dévorée par les lapins l'année d'ensuite (1822), a repoussé du pied, et l'an dernier (1823) et cet hiver (1824), j'ai, à force de recommandations, obtenu de faire empailler les rejetons, ce qui a parfaitement réussi. J'en ferai de même jusqu'à ce que ces arbres soient assez gros pour se préserver eux-même. "

L'année suivante, en 1825, il écrivait, de nouveau à Victor Leroy, après une visite faite à ce que les deux amis appelaient plaisamment leur forêt américaine : " Deux hivers où il est tombé de la neige ont fait que les lapins ont épargné les plantes du bois de Boulogne, qui proviennent de vos graines, et j'ai l'extrême plaisir de voir croître vigoureusement les Quercus ferruginoea, Quercus prinus palustris, Quercus falcata. Ces espèces ont de trois à six pieds et leur végétation et très-belle. Ces variétés étaient bien difficiles à se procurer. Nous vous les devons. "

Enfin, le 16 avril 1831, il lui écrivait encore : " J'ai été visiter aujourd'hui mes enfants et les vôtres du bois de Boulogne. Ceux-là en valent bien d'autres, et ils attesteront, sans nul doute, sous quelques centaines d'années, le passage sur la terre de deux bons citoyens. "

Les espérances de Michaux, exprimées d'une façon si digne et si touchante, ne se sont pas réalisées. Les témoins du passage sur la terre de deux bons citoyens, les enfants des deux laborieux botanistes sont disparus du bois de Boulogne : la forêt américaine n'existe plus.

En 1873, au mois d'avril, alors que je commençais à recueillir les notes qui m'ont servi à écrire la biographie de Victor Leroy, j'ai voulu voir la forêt américaine. Je suis allé à la mare d'Auteuil : Les chênes, si péniblement collectionnés par Victor Leroy, élevés avec tant de sollicitude par Michaux, avaient, eux aussi, été victimes de la guerre allemande et de la guerre civile ; leurs troncs vénérables avaient été troués, déchirés par des balles, leurs rameaux brisées par les obus : on avait dû abatre ces pauvres mutilés, et on avait défriché le terrain sur lequel ils avaient grandi depuis 1821, c'est-à-dire pendant cinquante ans. C'est à peine s'il en reste cinq ou six, dont l'un n'a pas moins de cinq mètres de circonférence à hauteur d'homme.

Mais si les chênes exotiques n'existent plus au bois de Boulogne, on retrouve leurs semblables, je pourrai même dire leurs frères, dans le parc du château d'Harcourt, département de l'Eure, qui appartient à la Société d'agriculture de France. Devant le mur septentrional du parc réservé et dans la cour qui précède le château tapissé de lierres de l'effet le plus pittoresque, s'aligne une double rangée de ces chênes exotiques qui proviennent des premières graines envoyées d'Amérique par Victor Leroy, et qui ont toute la vigueur d'arbres en pleine force.

Je pourrais, Messieurs, allonger considérablement encore la liste des importations faites par notre concitoyen. Je pourrais citer certaines espèces d'ormes, Ulmus rubra, Hudsoniana, fulva, Canadensis, qui fournissent aussi des bois précieux, -les Juglans, nigra, laciniata, squammosa, Noyers et Faux noyers, dont les bois sont fort précieux et recherchés à cause des colossales dimensions de leurs troncs, de leur solidité et de leur rare beauté, et dont certaines variétés fournissent un bois nuancé de violet et de brun noirâtre, non sujet à se fendre et à se gercer, n'ayant pas de retrait à la dessiccation, inattaquable aux vers et susceptible d'un très-beau poli, toutes qualités qui le rendent propre à une multitude d'usages. Je pourrais encore vous signaler les végétaux ligneux ou à souches vivaces dont Victor Leroy fut l'importateur, et qui ne comptent pas moins de 80 espèces ; une douzaine d'espèces de Cotoniers, des Céréales, -dont un blé très-productif, le Triticum Sanctoe Helenoe, a été cultivé et répandu par M. Jules Oudin pendant quelques années. Mais je m'arrête. Les introductions que je viens de signaler et qui sont, comme celles que le temps ne me permet pas d'indiquer, constatées dans la correspondance des botanistes parisiens, me semblent suffisantes pour justifier pleinement la revendication de l'importante part de collaboration qui revient à Victor Leroy dans l'impulsion donnée à la science horticole et à la botanique au commencement de ce siècle.

Comme moi, Messieurs, vous serez frappés de la somme de dévouement et d'énergie que notre vénérable concitoyen, aiguillonné par le noble désir d'être utile à la science, à son pays, à l'humanité même, a généreusement dépensée en parcourant les immenses solitudes de l'Amérique, des bords de l'Hudson aux confins du Mexique ; - comme moi, vous serez touchés des privations de toute nature, des fatigues énormes que dut s'imposer le vaillant voyageur, des dangers auxquels il s'exposait incessamment sous ces diverses latitudes, sous ces climats variés ; - comme moi, constatant son savoir, ses services, ses relations, vous serez surpris que son nom soit demeuré oublié, que ces travaux soient restés ignorés, et, comme moi, vous serez émus de cet étrange oubli, de cette regrettable méconnaissance.

Mais, comme moi aussi, - c'est mon espoir et mon encouragement, - vous voudrez bien, Messieurs, m'aider à réparer l'oubli, à combler cette lacune dans la biographie des savants botanistes et des horticulteurs dévoués ; - vous voudrez bien me prêter le concours de votre influence et de votre notoriété pour proclamer et vulgariser le nom et les travaux de notre honorable concitoyen, de notre vieil ami Victor Leroy. - Avec moi, vous vous associerez à l'hommage, assurément tardif et sans doute insuffisant, mais profondément respectueux et reconnaissant, que je suis heureux de lui rendre publiquement aujourd'hui. Cet hommage, c'est le premier effort entrepris pour l'œuvre de revendication, et ce premier effort, je le fais avec d'autant plus de joie et de confiance, que je tiens comme un grand honneur de pouvoir l'accomplir en présence et sous les auspices de l'éminente Société linnéenne de Normandie.


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