Éluard Paul – Mourir de ne pas mourir et autres poèmes (Défense de savoir, À défaut du silence, Poèmes pour la paix, Premiers poèmes, Le Devoir, Le Devoir et l’Inquiétude, Le Rire d’un autre, Les Animaux et leurs hommes Les Hommes et leurs animaux) : Les 23 poèmes de Mourir de ne pas mourir comptent parmi les plus sombres qu’Éluard ait écrits. Comme l’annonce son titre emprunté à une complainte de Thérèse d’Avila, le recueil, publié en 1924, est un cri de détresse, l’expression d’une crise à la fois amoureuse et poétique qui se présente en même temps comme un testament. Comment le poète du bonheur et de la fidélité à la vie, le futur auteur de « Liberté », de « La terre est bleue comme une orange » en était-il arrivé à une telle extrémité ? Pour le comprendre, revenons en arrière et replaçons les œuvres réunies ici dans leur contexte biographique…
La présente anthologie rassemble pêle-mêle dix brefs ouvrages qui couvent les années 1913 à 1928. Paul Éluard (né Grindel, 1895-1952) a alors entre 17 et 33 ans. C’est pour lui une période d’intense gestation poétique marquée par le Surréalisme et la figure de Gala (née Elena Ivanovna Diakonova), une jeune fille russe rencontrée en 1912 dans un sanatorium près de Davos, où les deux adolescents se soignent de la tuberculose. Pétrie de littérature et de culture, Gala devient sa muse et favorise l’éclosion de sa vocation. Ses Premiers poèmes (1913-1918) révèlent que si le futur Éluard n’a pas encore trouvé sa voix, il manifeste déjà une nette préférence pour le vers libre et le langage familier qui caractérisera toute son œuvre à venir.
Lorsqu’éclate le premier conflit mondial, Paul est mobilisé dès janvier 1915 comme infirmier militaire, puis muté en janvier 1917 dans un régiment d’infanterie, avant d’être affecté quelques mois plus tard au service auxiliaire pour des raisons de santé. En février de la même année, il épouse Gala. Du front, où il fait quotidiennement l’expérience de la boucherie humaine, il rapporte trois recueils lapidaires, rédigés non loin de la ligne de feu : Le Devoir (1916), Le Devoir et l’Inquiétude (1917) et les Poèmes pour la Paix (1918), qu’il signe désormais de son nom de poète.
Au lendemain de la guerre, Éluard embrasse le mouvement Dada, la révolution surréaliste et se rapproche peu à peu du communisme. Comme tant d’autres écrivains et artistes à la recherche d’un langage nouveau, il s’intéresse au rêve, à l’inconscient, sans pour autant adopter l’écriture automatique. Il explore également les formes courtes telles que le proverbe et le haï kaï (Pour Vivre ici, onze haï kaï, 1920). Surtout, il collabore avec d’autres poètes (Péret, Char, Breton, Aragon) ainsi qu’avec plusieurs peintres — notamment André Lhote, qui illustre Les Animaux et leurs hommes (1920), ainsi que Max Ernst, avec qui il publie quatre recueils, dont Répétitions (1922) et Au défaut du silence (1925). De son côté Gala, contribue à sa manière à l’effervescence de l’époque en servant d’inspiratrice et de modèle à de nombreux poètes et artistes.
Mais la très grande liberté sur laquelle Paul et Gala bâtissent leur couple est mise à rude épreuve en 1921 lorsque Max Ernst forme avec eux un célèbre ménage à trois qui dure trois ans et tourne vite au calvaire pour Éluard. Mourir de ne pas mourir en est le poignant témoignage. Le 24 mars 1924, veille de sa publication, le poète, prêt à tout lâcher, s’embarque en secret à Marseille pour un voyage autour du monde. Mais cette fuite en avant ne lui sera d’aucun secours. De retour en France quelques mois plus tard, il fera tout pour oublier cet épisode douloureux qui présage la fin des « années Gala ».
C’est en 1925 qu’Éluard revient à la poésie avec Au défaut du silence, dont l’édition originale, élaborée avec Max Ernst, ne comprenait pas moins de vingt dessins du visage de la muse… Bel hommage, s’il en est ! Signe aussi que l’envoutante Gala n’avait pas fini d’exercer son empire, puisqu’en dépit des années et des amours nouvelles (elle quitte Paul pour Salvador Dali en 1929 ; lui rencontre Nusch en 1930, Dominique en 1949), le plus lu et peut-être le plus aimé des poètes de sa génération continuerait de lui écrire des lettres tendres et ardentes jusqu’à la fin de sa vie. [Sources : Jacques Gaucheron, Paul Éluard ou la fidélité à la vie (Le Temps des Cerises, 1995) ; Lucien Scheler, « Préface », « Chronologie », in Paul Éluard, Œuvres complètes (Gallimard 1968).]
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