CHAPITRE IV.
Imitation à craindre.
L'ignorance des enfants, dans le cerveau desquels rien n'est encore imprimé, et qui n'ont aucune habitude, les rend souples et enclins à imiter tout ce qu'ils voient. C'est pourquoi il est capital de ne leur offrir que de bons modèles. Il ne faut laisser approcher d'eux que des gens dont les exemples soient utiles à suivre: mais comme il n'est pas possible qu'ils ne voient, malgré les précautions qu'on prend, beaucoup de choses irrégulières, il faut leur faire remarquer de bonne heure l'impertinence de certaines personnes vicieuses et déraisonnables, sur la réputation desquelles il n'y a rien à ménager: il faut leur montrer combien on est méprisé et digne de l'être, combien on est misérable, quand on s'abandonne à ses passions, et qu'on ne cultive point sa raison. On peut ainsi, sans les accoutumer à la moquerie, leur former le goût, et les rendre sensibles aux vraies bienséances. Il ne faut pas même s'abstenir de les prévenir en général sur certains défauts, quoiqu'on puisse craindre de leur ouvrir par là les yeux sur les faiblesses des gens qu'ils doivent respecter; car, outre qu'on ne doit pas espérer et qu'il n'est point juste de les entretenir dans l'ignorance des véritables règles là-dessus, d'ailleurs le plus sûr moyen de les tenir dans leur devoir est de leur persuader qu'il faut supporter les défauts d'autrui, qu'on ne doit pas même en juger légèrement, qu'ils paraissent souvent plus grands qu'ils ne sont, qu'ils sont réparés par des qualités avantageuses, et que, rien n'étant parfait sur la terre, on doit admirer ce qui a le moins d'imperfection; enfin, quoiqu'il faille réserver de telles instructions pour l'extrémité, il faut pourtant leur donner les vrais principes, et les préserver d'imiter tout le mal qu'ils ont devant les yeux.
Il faut aussi les empêcher de contrefaire les gens ridicules; car ces manières moqueuses et comédiennes ont quelque chose de bas et de contraire aux sentiments honnêtes: il est à craindre que les enfants ne les prennent, parce que la chaleur de leur imagination et la souplesse de leur corps, jointes à leur enjouement, leur font aisément prendre toutes sortes de formes pour représenter ce qu'ils voient de ridicule.
Cette pente à imiter, qui est dans les enfants produit des maux infinis quand on les livre à des gens sans vertu qui ne se contraignent guère devant eux. Mais Dieu a mis, par cette pente, dans les enfants de quoi se plier facilement à tout ce qu'on leur montre pour le bien. Souvent, sans leur parler, on n'aurait qu'à leur faire voir en autrui ce qu'on voudrait qu'ils fissent.