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J. Le Bys : Les effets merveilleux de Notre-Dame-de-Grâce (1615)- Texte
LE BYS, Jean  (15..-1641) :  Les effets merveilleux de Notre-Dame-de-Grâce [1615] ; publiés avec introduction et notes par Charles Bréard.- Rouen : Imprimerie Léon Gy, 1902.- lv-31 p. ; 22,5 cm. - (Société rouennaise des bibliophiles ; 49).
Saisie du texte : S. Pestel & O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (19.V.2005)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/

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Orthographe et graphie conservées à l'exception des i/j, u/v et "s" longs qui ont été restitués ainsi que résolues les abréviations.
Texte établi sur l'exemplaire d'une collection particulière.
 
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Les effets merveilleux de Notre-Dame-de-Grâce
par
Jean Le Bys
avec
introduction et notes
par
Charles Bréard

~*~

Effects merveilleux,
et admirables
secours de la glorieuse vierge
Marie ditte Nostre Dame de Grace,
pres Honnefleur.

Esprouvez & resentis par des personnes dignes de Foy,
qui l’avoient invoquée en leur necessitez.

Beatam me dicent omnes generationes.

C'est à vous Vierge que je veux
D'une affection nompareille
Sacrifier mes humbles voeux
Excitant tous à la pareille.

A Rouen.
Chez Nicolas Hamillon, demeûrant devant
le grand portail Saint-Jean.
1615.

Avec approbation


A la Royne des Cieux.

QUE ce soit presomption à un vermisseau comme je suis (ô Bien-heureuse Advocate des pecheurs) que de faire sortir au jour ces effects merveilleux, que vous avés operé en plusieurs, & de m’addresser à vous pour les vous dedier renvoyant en sa source, ce qui en sort, vous suppliant d’en estre la protectrice, & avoir pour agreable l’humble service que ma vileté pense faire à vostre excellence (ô Princesse du Ciel) je n’en doute point, & humblement vous en demande pardon confessant ma faute, Car en effect si ce grand Alexandre ne voulut jamais permettre à un autre qu’à un Appelles de le peindre & pour traire craignant que la vivacité de son esprit qui reluisoit en son front & paroissoit en ses yeux ne fut assez bien exprimée par un pinceau plus grossier & moins delicat que celuy de ce grand peintre, vous avez droit ô Saincte Dame, de trouver mauvais que j’entreprenne d’une plume si mal taillée de peindre & representer à chacun les traits delicats de vos perfections & oeuvres que vos tres-puissantes mains ont elabourez en plusieurs ames. Aussi le confessay-je moy mesme advoüant que quiconque veut parler de vous ressemble à ces Astrologues qui pour instruire & faire comprendre le mouvement des Cieux, la course du Soleil & milles autres rencontres, qui se voyent en ces globes celestes, tiennent un globe de carton où bois, disant icy est l’Orison, la l’equateur, la la ligne Equinoctiale, la la zone torride, icy les Poles, car la mesme distance & difference qu’il y à entre le Ciel, & ce globe artificiel la mesme se trouve entre vous & les discours que nos langues humaines en peuvent expliquer & esbaucher.

Mais quoy de se taire aussy de ce dont on ne sçauroit trop parler, & moy estant tant redevable que je pense cacher en moy ce secret que je n’ay receu que pour le publier je serois par trop coupable, j’ayme donc mieux estre estimé temeraire m’attaquant à vous par humble supplication qu’ingrat apres tant de benefices receuz. Joint que j’espere tant en vostre clemence (ô Mere de misericorde) que la faute commise par mon incapacité sera excusée par votre capacité & benignité ordinaire, & que vous ne serez pas moins courtoise envers moy qui vous presente peu, qu’Artaxerxes auquel selon la coutume des Perses chacun offroit selon son moyen, un paysan n’ayant autre chose alla au prochain fleuve où ayant puisé avec sa main de l’Eau l’apporta ainsi à ce Roy, qui voyant son affection cordialle la receut de bon coeur disant qu’il n’estoit pas moins honorable à un Prince de prendre petite chose que d’en donner de grandes, Aussy me confiant en vos bien-veillances Je vous offre ce peu de collections, que j’ay faict de vos merveilles vous priant de les recevoir d’aussy bon oeil que je me diray humblement & devant tous,

    Votre tres-petit & affectionné serviteur & devot
                    J. Le. B. (1)


DISCOURS
PAR LEQUEL EST PROUVÉ
Par l’Escriture Saincte, & par les Peres
que la bien-heureuse Vierge favorite, assiste &
console ceux, qui humblement ont recours
à elle en leur affliction. (2)

CE grand Dieu est un estre tant obligeant, ses bien-faicts & bien-veillances en nostre endroit sont si grandes que chacun de nous doit considerer que quand toutes les parties de son corps seroyent changees en langues, & employees à loüer sa Majesté encore lui seroit-il redevable. Laissons à part ce qu’il nous eslargit & levons les yeux vers luy mesme n’oeilladans que ces perfections ineffables, qu’ont ne peut profonder, elles meritent d’estre exaltés de toute créature. C’est pourquoy les Anges & les Esprits bien-heureux dans le Ciel ne font autre mestier n’ont autre occupation qu’à le loüer, non tant pour la grace & gloire qu’ils ont si liberalement receüe de luy,  que pour la veüe qu’ils ont de ses ravissantes beautez. Et nous qui croyons tout ce qu’ils en voyent serons nous tousjours endormis, le Psalmiste est contraint de nous resveiller disant. Omnis spiritus laudet Dominum, que toute langue & coeur benisse ce bien-faicteur supreme & donne instruction en quoy & comment nous le loüerons. Laudate Dominum in sanctis ejus, Laudate eum in firmamento virtutis ejus : Loüez le Seigneur en honorant ces Saincts c’est que Dieu à fait plusieurs graces à plusieurs saincts pour en estre loüé & pour faire admirer sa bonté, s’estant panchée devers eux pour en tirer ses loüanges. Ainsi c’est le loüer que destimer & priser ces saincts, mais ce mot Laudate eum in firmamento virtutis ejus, les Docteurs l’expliquent de nostre Dame, pour ce que comme le firmament est eslevé au dessus de plusieurs autres Cieux, aussi elle faict bande à part, & choeur separé dans le Ciel, surpassant tous les saints en gloire, c’est aussi pour ce que le firmament à une milliace d’Estoilles qui le decorent, les autres Cieux se contentent d’une Planette, aussi Marie à en soy non une vertu, mais une milliace, elle à l’esperance des Prophetes, la Foy des Apostres, la Constance des Martyrs, la pureté des Vierges, la Saincteté des Confesseurs, & partant celuy la loüera bien Dieu qui loüera & invoquera celle qu’il à ornée & embellie de tant de passe-droicts & prerogatives.

Que si cette raison pour loüer Dieu ne suffit à ceux qui sont plus amoureux d’eux mesmes, que de Dieu, au moins le bien & les assistances & recompences qu’ils recevront à supplier cette Dame, luy doivent porter, puisque jamais elle ne permettra qu’aucun l’invoque d’un vray coeur que sa requeste tost où tard ne soit entherinée, s’ils perseverent à l’importuner. En voici les preuves.

L’Escriture Saincte nous fournit un passage en l’eccles. 24. que l’Eglise applique à nostre Dame, Qui creavit me requievit in tabernaculo meo & dixit mihi in Jacob inhabita & in Israël hereditare & in electis meis mitte radices, elle dit qu’elle habite en Jacob & non en Esaü lequel representoit les reprouvez, & Jacob les esleuz que cette Vierge cherit, ceux donc en qui Marie aura mis ses racines & qui auront Marie en leurs affections pieuses auront un signe d’Election & predestination, & cette devotion ainsi enracinée en nos ames attirera l’humeur & la vertu de notre bonne volonté vers le Ciel.

Et comment pourroit on expliquer sur ce sujet ce passage du levit. 24 Ponam tabernaculum meum in medio vestri & non abijciet vos anima mea, Sinon que cela s’accomplit aux esleuz Marie est ce tabernacle sacré de Dieu qu’il veut estre placé au milieu du coeur de ceux qu’il ayme, & tels ne seront jamais rebuttez de luy qui auront en eux tant de devotion que de conserver sa mere en leur memoire & au fond de leurs sainctes pensees.

Mais je ne trouve point de passage si fort que celuy que nous propose l’Apostre, Rom. 8. Quos praescivit & praedestinavit conformes fieri imaginis filii sui, & en la 2. aux cor. 3. Nos autem revelata facie gloriam Domini speculantes in eandem Imaginem transformamur, par lesquelles ce St. Declare que les predestinez doivent estre transformez & faits conformes à l’Image de Jesus-christ, cest à dire que comme Jesus-Christ est Dieu & fils de Dieu naturel, l’homme Chrestien doit estre par participation de sa grace fils de Dieu par adoption, or afin qu’il ressemble à Jesus-Christ quant a l’humanité, il faut que comme Jesus-Christ est fils naturel de Marie, l’homme par adoption, devotion, & acception, qu’en face Marie soit son fils, aussi est elle dite Mere des esleuz & les esleuz doivent l’eslire pour mere, & semble que nostre Seigneur son fils voulut dire cela pendant en Croix, lors que parlant a S. Jean il est dit que vidit discipulum & ait ecce mater tua, ou on voit qu’il ne le nomme point particulierement mais usant de ce mot de disciple aussi tost il conclud, voila sa mere, pour ce que tout vray Disciple de nostre Seigneur dit Origene en l’home de St. Jean Evang. est fils de Marie, & Marie à pour fils tout esleu. Aussi tous les justes entonnent ces beaux mots du cant. I. Exultabimur & letabimur in te memores uberum tuorum super vinum recti ditigunt te, memoratifs de vos mammelles bienfaictrices, ô notre bien aymée mere nous nous efiouyrons en vos perfections plus qu’au vin le plus delicieux & la raison de ce retour des justes vers Marie se tire de l’effet de la grace laquelle à inclination vers icelle comme l’effect vers sa cause ainsi qu’a l’agneau, Dieu a donné la cognoissance de sa mere & le retour & affection vers elle entre mille, la choisissant sans se tromper. Ainsi l’Autheur de la grace donne cest instinct à ceux qui l’ont de reverer & aymer sa mere qui est apres luy comme l’Eglise la qualifie Maria mater gratiae partant les justes ont un traict vers ceste Vierge qui les tire & porte facilement pour la recognoistre leur Mere & l’invoquer comme telle & elle à aussi une propension maternelle vers les justes comme la Mere vers ses cheris enfans. Je ne dis tout cecy comme venant de mon crud, les Peres triomphent sur les biens qu’elle cause aux mortels, S. Anselme en l’Orais. de excell. Mar.c 12. dit Sicut ô beatissima omnis a te aversus & a te despectus necessé est ut intereat, ita omnis ad te conversus & a te respectus impossibilé est ut pereat. C'est-à-dire, ô tres-heureuse ainsi que tout homme qui sera destourné de vous & mesprisé de vous il est necessaire qu’il perisse mal’heureusement, aussi tout homme qui se convertit à vous & est reçeu de vous il est impossible qu’il perisse ains finit heureusement, scauroit on dire plus à l’avantage de ceux qui la prient & pour donner confiance de l’eslire pour Mere & advocate cecy se peut expliquer avec ce que rapporte Pline ver. 21.c.13 hist. nat. qu’en l’afrique il y a des familles qui naturellement ont un privilege que tous ceux de leur sang tuent de leur haleine les serpents au moins les font fuyr, autant & plus vrayement en peut on croire de ceux qui sont de la maison sacrée de la vierge qui pour la devotion qu’ils luy portent sont couchez sur son estat, de leur haleine nommant & invoquant le nom de leur chere mere chassent les Diables & sont preservez d’iceux par ses secours favorables, & en effect n’aura elle pas bien autant de pouvoir que la harpe de David laquelle pendant qu’on fredonnoit dessus le demon de Saul s’en alloit, & on ne croira pas que cette Vierge esloigne tout mal & malin esprit de ceux qui entonnent ses loüanges & la prient de tout coeur, & le mesme St. Anselme au c.6. dit Multa petuntur à deo nec obtinentur & petuntur a Maria & obtinentur non quia illa potentior sed quia fic decrevit Deus eam honorare ut sciant homines omnia per ipsus obtineri à Deo, plusieurs choses sont demandes à Dieu qui ne sont obtenues & sont demandes à Marie & sont obtenues non qu’elle soit plus puissante mais pource que Dieu veut ainsi l’honorer à ce que les hommes sachent que tout s’obtient de Dieu par ses prieres qui donc entendant ce pere ainsi parler (& tant d’autres que je passe pour n’estre long) n’auront croyance qu’elle peut beaucoup & qui ne la priera estant si bonne & si puissante ?

C’Est une ignorance qui attaque & s’empare de plusieurs Esprits de ce temps de rapporter tout à la nature & ne croire rien venir de Dieu particulierement que ce qu’ils voyent surpasser & ajamber sur toutes les loix comme de cette mesme nature, comme si Dieu avoit les mains liées & sous main & sous les mesmes creatures ne pouvoit agir quand bon luy semble & qu’il en est prié, à telles gens donc qui n’estiment rien de merveilleux que ce qui est miraculeux je m’adresse pour terrasser cette opinion. Pourquoy tient-on pour coup de Dieu quand David deffit cette montaigne de chair Goliath, puis qu’il se servit bien d’un caillou & luy estoit un jeune homme fort & robuste bien adextre à frapper de la fonde, ne le pouvoit il pas faire aussi tost par hazard qu’un coup de pierre jettée furieusement & comme à la desesperade donnant dans le front d’un homme le jettast par terre. Et puis il prit le coutelas de celuy qui estoy estourdy abas ? Ce sont toutes voyes humaines & neantmoins à qui attribue-on cet acte si genereux qu’à la puissance de Dieu, qui par merveille l’avoit secondé en tel düel, toute l’armée & la populace le referoit au tout puissant. De plus quand Dieu donnoit des victoires signalées aux Israëlites contre leurs ennemis ne faisoient ils rien, ne s’exposoyent ils pas aux coups & faisant ce qui estoit en eux Dieu faisoit le reste. Et ce pendant si à present un malade à l’extremité faisant veu à nostre Dame si on ne le voit marcher aussi tost & ne se porte bien en un instant on ne veut croire estre favorisé de Dieu pour n’avoir este si subitement & si parfaitement remis sur pied, s’il revient peu à peu & recouvre ses forces & santé desesperée, avec le temps c’est nature qui fait tout. On n’en doit rien à Dieu n’y au Saint qu’on a prié comme si sous ce temps Dieu noperoit pas. Cet abus procede de ce que les hommes ne croyent assez en la providence de Dieu, ne se souvenant pas qu’il à dit de sa bouche qu’une feuille d’arbre ne tombe en terre sans la volonté du Pere celeste qui gouverne ce bas monde, qui dit encore par un de ses Oracles qu’il n’y à mal aucun en la Cité qu’il ne face l’entendant de celuy de peine comme sont les maladies, perile &c. Donc comme pour les introduire il se sert de causes secondes qu’il mesnage si à propos que sans qu’on l’aperçoive on si trouve pris. Aussi ne laisse-t-il de retirer ses fleaux quand bon luy semble bien que ce ne soit si promptement qu’on desireroit, lesquelles peines il laisseroit aller leurs cours & bien loin si nos prieres addressees à ses saincts & sur tous à sa Mere ne servoient de rempart à ses justes choleres meritées par nos pechez.

De plus puis-que c’est Dieu qui inspire ceux qui gisent en ces afflictions à lever les yeux vers luy & l’invoquer par l’intercession de quelque saint il est veritable que les effects qu’on en ressent viennent de sa main auxiliatrice, car ne pouvant de nous comme dit l’Apostre proferer son venerable nom sans son inspiration il s’ensuit que c’est lui qui se fait prier de ce qu’il veut nous octroyer & ce veut servir de ce moyen, de son saint, & de nostre priere à luy dressee, comme d’une voye pour l’obtenir partant ceux qui ont receu quelque grace d’en-haut qu’ils ne meritoyent, & qu’ils n’attendoyent du secours humain bien qu’elle ne vienne tout à coup à operer doivent faire cet honneur à Dieu & aux saincts qu’ils ont invoquez, de leur attribuer le bien qu’ils en ont receu sur peine d’ingratitude nom pareille & de n’estre une autre fois exaucez en leur demandes & necessitez.

Je dis cecy d’abord à ce qu’on face plus d’estime des merveilles que nostre Dame à opéré qui sont plus à admirer que ne pensent quelques uns, car ce n’est pas d’aujourd’huy que s’accomplit le dire du Prophete, Mirabilis Deus in sanctis suis : & sur tout en sa mere laquelle comme estant ce qu’elle est remplit la terre de benedictions exauçant ceux qui l’honorent par leurs tesmoings en sont ceux qui ont eu recours à elle & s’en sont bien trouvez, desquels voicy la premiere hystoire.

L’an Mil six cens quatorze.

NOble homme Jean le Bys Sieur de Fontenay (3) estant à Paris au moys de Novembre fut saisi & agité d’une griesve & violente maladie apres avoir receu les Sacrements, abandonné des Medecins qui avoient usé sur luy ce qui estoit de leur pouvoir & art ne recoignoissants en luy que des signes augurants & presageants sa prochaine fin, en suitte resta  cinq heures sans poux & sans haleine auquel estat fut jugé pour mort de tous, jusques là qu’on preparoit le suaire pour l’ensevelir, ce pendant ledict malade presumé mort se sentit poussé de se recommander & faire voeu à la Vierge en sa Chappelle de Grace, la suppliant avoir pitié de son ame & la faire passer en asseurance ce destroict tant perilleux, où il se jugeoit estre. Aussi tost il commença à ouvrir les yeux estonnant ceux qui le croyoient estre passé, & pleuroient son decez, & se trouvant tout à coup soulagé de beaucoup de tant de maux qui l’agitoient, à sçavoir d’une grande defluxion, d’une pleurezie, & fievre chaude, alors il recogneut indubitablement que cette bonne Dame avoit presenté ses voeux à son fils cecy arivant le jour de sa presentation au temple, dont il loua Dieu, & se sentant peu de jours apres fort assez monta à cheval pour luy en aller rendre grace & accomplir ses voeux en ladicte Chappelle ou il fit celebrer solemnellement  trois hautes Messes l’une de la Vierge, les deux autres de S. Jean, & S. Françoys (4) qu’il avoit aussi reclamez en cette sienne necessité. Et depuys fit composer ce sonnet pour estre attaché à ladicte Eglise en memoire perpetuelle d’un tel bien receu. (5)

ACTION DE GRACES A LA
bien-heureuse Vierge, pour la santé
miraculeusement reçeuë d’elle
par ledict le Bys (6) son affectionné devot

SONNET

  Les hommes vont suivant le train de leurs pensées,
Les uns vont des plus grands recerchant les faveurs,
Les autres du commun mandient les honneurs,
Et d’autres ont en l’or leurs ames enchassées.
  Mes volontez seront à jamais amasseés
Pour la Vierge honorer, je voudrois mille coeurs
Luy dedier en un, comme un boucquet de fleurs,
Jugeant à la servir mes heures bien passez.
  J’estois au lict de mort au jugement humain,
Quand la Vierge à l’instant me vint tendre la main,
Me redonnant le poux & la force & l’haleine,
  Comme mere de vie elle mà rendu sain :
Et sain je seay sien, n’ayant autre dessain
Que de servir Marie & mourir en la peine.

AUTRE ACTION DE GRACES.

  Pendant qu’un flux d’humeurs causant la pulmonie,
Compagnon d’une fievre aux efforts plus ardants,
Sans treves ny repos me travailloient dedans
Je restay pour un temps ainsi qu’en agonie.
  Lors mes debiles yeux vers la voute munie.
De celestes faveurs sans cesse regardans,
Accompagnoient mes voeux qui s’en alloient rendans,
Aux pieds d’une beauté en graces infinie.
  Elle tout aussi tost me faisant respirer,
Et mes foeux violens tout à coup expirer,
A son Fils tout puissant ma santé redemande :
  Vierge ! l’honneur du Ciel, des humains le recours,
Je vous appens ces vers pour ce bien en offrande,
Dame vous confessant de grace & prompt secours.

AUTRE HISTOIRE.

EN la mesme Année le Sieur de Tortuict Chauvin (7) commandant dans une barque (8) pour aller aux isles du Perou accompagné du Sieur de la Rocque (9) Gentilhomme signalé du Pays de Languedoc, du Sr de Saint George (10), Helme son enseigne avec plusieurs soldats & matelots de l’equipage ayant faict voile & partis de Honnefleur au Moys de Septembre (11), peu de jours apres se virent agitez furieusement d’une tempeste si grande, de vents contraires, accompagnez de tonnerre, gresles, pluyes, en sorte que laissant aller la Barque toutes voiles abbatues, les mats rompus se veirent portez parmi des roches sans nombre & assez proche pour leur augurer leur perte prochaine, se voyants en un peril si eminent & prests à faire naufrage, le Pilote quittant l’espoir de vivre aussi bien que son gouvernail qui obeissoit plus aux fortes bourasques des vents qui faisoient leur joüet du vaisseau, qu’à sa volonté demy desesperée de pouvoir sortir de tels lieux sans fracas du navire en mille pieces, ses compagnons pasles & demy morts perdoient contenance jugeant que c’estoit faict d’eux. J’ay dict demy deseperez & demy morts, pour ce que s’ils perdoient espoir selon le secours humain, ils ne perdoient pour celuy d’enhaut qu’ils souhaitoient & esperoient par leur bonne Advocate nostre Dame de grace, à laquelle les genoux en terre, les larmes aux yeux, les souspirs au coeur & l’affection pour elle en l’ame ils firent d’un commun accord voeux de celebrer la saincte Messe dans sa Chapelle de Grace si par grace non meritée ils eschapoient ce naufrage, cas estrange, tout au mesme temps le vent est abbatu, la mer est renduë calme & tranquille & sortent des rochers sans estre endommagez revenant heureusement contre leur attente premiere, audict Honnefleur, ou estant relaschez allerent tout de ce pas la salüer & rendre grace à la sacrée Vierge en son Eglise, confessant à tous ne tenir la vie que de son Fils & d’elle à laquelle comme au Fils, ils rendoient milles loüanges.

                        Et voicy les honneurs qu’on à
                        rendu à cette Dame pour eux.

A LA VIERGE.

  Vierge, le Ciel est beau, quand Diane blafarde
Descouvre au firmament tant d’Astres lumineux,
Mais vous semblez plus belle alors qu’on vous regarde
  Au jour de vos vertus loing des pechez hydeux.
L’air est beau, quand le vent & l’orage ne force
Le serain de Junon, en larmes s’espancher,
Mais vous le surpassez en mesprisant la force
De l’Ange de la nuict, du monde & de la chair.
  La terre semble belle en la saison nouvelle
Mais l’Hyver l’enlaidit & luy ride sa peau,
Vierge en toute saison vous semblez toujours belle
Faisant dans nostre Hyver germer un renouveau.
  O ! que belle est la mer alors qu’elle est esgalle
Et que son grand flot flotte à petits flots ondez,
Mais plus belle est encor’ ceste mer Virginalle
Que ne s’enfle jamais de nos flots débordez.
  Si donc la Lune du Ciel, l’air & la terre & l’Onde
Vous cedent en beauté autant qu’en pureté,
Vous doit-on pas chanter la plus belle du monde
Et vous nommer au monde, un monde de beauté.

AUTRE.

L’AN 1614. la soeur-veille de la Magdelaine (12) en la belle maison de Fontaine (13) à quatre lieües pres Lysieux, arriva par la faute d’un palphrenier que le feu prit à l’escurie environ sur la minuict, & ce avec tel embrazement pour la matiere combustible qu’il y trouva, qu’on vit plutost toute ceste escurie en feu, & quatre ou cinq chevaux dedans bruslans (desquels on n’en sçauva qu’un) que le secours pour y remedier, toute la court estoit en feu pour les estincelles qui voltigeoient fort loing & donnoient apprehension de la perte encore de la Chappelle de ladicte maison, le feu gaigne & va serpentant & avançant tousjours vers un cabinet & galerie voisine, par mal’heur plaine de bois, en sorte que le feu trouvant son aliment propre s’enflamma de telle sorte, que tous ceux, qui estoient presens en petit nombre, craignoient qu’il  ne gaignast le grand logis qui y aboutissoit, & commençoit on en à tirer le plus precieux pour le degager des ravissantes flammes & remedier aux advenües d’icelles. Mais quoi rien n’eut arresté le cours & les efforts d’un feu si violent, chacun estoit contemplant ce desastre la douleur au coeur sans ouverture d’esperance que du costé de Dieu, qu’eut-on sceu faire estant si peu à si grand feu, de bon-heur se trouverent la deux Peres Capucins qui y avoient presché ce jour là, qui eurent recours à leurs armes ordinaires, excitant chacun à concourir & s’unir à leurs prieres pour faire un sort attaquant Dieu par importune requeste, ils se mirent donc avec quelques autres à genoux en terre en la court, & la le Predicateur voüa à Nostre Dame, que si c’estoit son bon plaisir de faire paroistre ses bien veillances ordinaires sur ce lieu (que la charité & pieté des hostes d’iceluy leur faisoit affectionner) qu’il iroit à son Eglise de Grace à Honnefleur dire la Messe en action de grace & inviteroit toute la Ville à y aller en Procession & là qu’il y prescheroit ses loüanges, & le miracle qu’il auroit veu, & aussi disant les litanies & autres prieres que l’Eglise dedie à la Vierge, sans celles qui partiroyent de leur coeur touché d’une compassion d’une si grande perte ne cessoient de conjurer la bonté de cette Dame à pancher & s’encliner vers eux pour les secourir en tel besoin, ne voyant autres voyes selon le jugement humain que ses misericordes. Merveille, leurs voeux achevez le feu commence à demeurer bien demy-heure durant en mesme estat, & aussi tost de tous costez accourut si grand nombre de peuple inesperé, veu le temps de nuict & la distance grande qu’il y à de là aux maisons voisines & chacun travaillant tant d’un courage animé d’enhaut que Dieu conduisant leurs industries ils se rendirent maistres du feu, voire n’ayant pris ce que chacun de premiere veüe luy accordoit volontiers. Mais Dieu par les prieres de sa Mere qui l’en importunoit retenoit la bride à ses flammes, si que ne passant point depuis la priere & le voeu fait donna seulement à cognoistre que Dieu y avoit mis sa main & nostre Dame de Grace conferé ses graces chacun les en remercioit. Et le voeu fut accompli par lesdits Peres Capucins le Dimanche dedans l’Octave de l’Assumption de cette Vierge (14) & la predication faicte sur le mont où est son Eglise, à l’Air, assistée de toute la ville qui si estoit acheminée avec les processions qui loüoyent Dieu & cette Dame qui faict des merveilles à ceux qui humblement l’en requierent.

SONNET
En l’Honneur de la Mesme.

  Il n’y à qu’un Soleil, dont les vives splendeurs
Ebloüissent du Ciel nostre humaine prunelle,
Entre toutes les fleurs la rose est la plus belle
Le Lys en sa blancheur noircit toutes blancheurs.
  Le miel est le plus doux de toutes les douceurs :
La perle en pureté se trouve naturelle,
L’or en prix & valeur tous les metaux excelle
Et le cher ambre-gris passe toutes odeurs.
  Mais plus que ce parfum la Vierge est odoreuse,
Plus pure que la perle, & que l’Or precieuse,
Plus blanche que le Lys, plus douce que le miel,
  Plus claire qu’un Soleil, plus belle qu’une Rose :
Toutesfois je la dis, fleur dans l’Espine esclose,
Lys, Miel, Ambre, Soleil, Or & Perle des Cieux.

HISTOIRE ARRIVEE
L’An 1600

MAistre Jacques Heroult Sr. de la Rüe, Docteur en medecine, & medecin ordinaire de feu Monseigneur le Mareschal de Fervaques (15) , tomba malade à Lysieux, d’une defluxion sur les paulmons accompagnée d’une fievre lente, dont la substance des parties de son corps fut presque du tout consommée, tellement que ne luy restant que la peau & les os, il representoit plustost l’Image de la mort, que d’une personne vivante. En cette grande & facheuse maladie se voyant si bas, eut recours (touché d’une saincte & secrette inspiration) aux prieres de la bien-heureuse Vierge, promettant par voeu non seulement de coeur, mais prononcé de bouche que s’il plaisoit à Dieu luy redonner quelque force & vigueur contre l’espoir de tout le monde il s’achemineroit à l’Eglise de nostre Dame de Grace, pour à luy rendre loüanges du recouvrement de sa santé : le 26 d’Aoust, peu apres il se fit porter sur une haquenée & encor qu’on ne jugeast pas qu’il peut parvenir ou son affection le guidoit consideré sa grande foiblesse & extenuation il arriva toutesfoys dés le soir à Honnefleur, & la nuit il commença à reposer si naturellement que le lendemain au matin il eut assez de force pour monter la montagne à pied & faire celebrer la Messe en ladicte Chappelle avec telle ferveur de devotion que dés l’heure il ressentit en son en son  ame une extreme consolation & liesse spirituelle, en son corps un accroissement de vigueur, & en sa maladie tenuë pour incurable, un evident soulagement & diminution des accidents plus importans & perilleux.

    En memoire dequoy il composa ces vers.

  Peuples ne cerchez point ces merveilles du Monde
Dont le superbe front touchoit jusques aux Cieux :
Et ne traversez plus l’Air, & la Terre, & l’Onde,
Pour voir des yeux mortels ces temples des faux Dieux.

  Delphes, Mansole, Ephese, & ces trois pyramides,
De la Grece l’honneur, d’Egypte l’ornement,
Ne sont plus rien que poudre, & dans leurs places vuides
Le temps n’en à laissé le moindre fondement.

Une Vierge à fermé la bouche à leurs oracles :
Et leur grand Pan est mort notre Sauveur naïssant :
Leurs feintes Deitez cedans aux vrays miracles
Ensemble prindrent fin, comme il alloit croissant.

C’est en ce lieu sacré, que sa Mere l’honore
Tenant celuy, qui tient l’univers en ses mains
Ce Verbe que le Ciel & que la terre adore,
Jesus l’unicque espoir & salut des humains.

  Hausse ton oeil mon ame, en ce tableau contemple
Cette perle du Monde en sa vive couleur
Ce Rameau tousjiours verd, la gloire de ce Temple,
Qui rapportant son fruict n’a point perdu sa fleur.

  C’est ce phare planté sur le bord du rivage
L’estoille de la nuit, nostre grand reconfort,
Qui nous sert de r’adresse, & qui loin du naufrage
Par la main de son fils nous reconduit au port.


EPITETES ET QUALITEZ
HONORABLES DE LA VIERGE,
En forme d’Oraison tirée de
L’Escriture & des Peres.

ROYNE des Anges, saluée des Archanges, reverée des puissances, Maistresse des vertus, Duchesse des Principautez, Princesse sur les Throsnes, la premiere apres Dieu & son fils, grande Dame priez pour nous vils pecheurs qui sommes indignes de vous nommer & prier. Royne des esleuz, Imperatrice de l’univers, Puissante mediatrice aupres du tout puissant, O Mere de Dieu, Vierge & Mere tout ensemble, l’Esperance des viateurs apres Dieu, impetrez pour nous ce que vous sçavez nous estre necessaire. O vous la femme forte, plus belle que Rachel, plus gratieuse qu’Esther, plus genereuse que Judith, plus officieuse qu’Abigail, quand resentirons nous les effects de tant de perfections. O Advocate des humains apres Dieu, Source de nostre bien, Fontaine de tout bon-heur, l’Allegresse des Anges, la liesse des humains, l’exemple des actifs, la joye des contemplatifs, le plaisir amiable des bien-heureux en gloire priez pour nous qui vivons tristement en ce val des miseres. Miracle de l’univers, l’Estonnement des Philosophes, la merveille de la nature, Vierge feconde enfantant, Vierge mere, Cité de refuge, Temple de garentie, Maison du Dieu vivant, Arche de paix sois nous propice en nos pauvretez & miseres.  Cabinet glorieux de mille dons du Saint Esprit, Sacraire precieux de ses graces faictes que nous participions à ses saveurs & faictes nous part des vostres. Image de vertu, la devotion de tous, l’Effroy des diables, la consolation des affligez, Dame de Paradis, Porte du Ciel, Estoille de mer donnez nous entrée en ces lieux bien-heureux où vous sejournerez pour jamais. Et si j’ose vous supplier ô gloire de l’Eglise je le requiers avec tous les desirs de mon ame (c’est trop peu) je vous conjure avec tous les souhaits quant jamais en tous les amis de vostre doux fils Jesus, ô ne me refusez pas tres-chere mere, je vous en supplie avec tout l’Amour des ardens Seraphins & la reverence que tous les bien-heureux vous font, par l’Amour fort & chaste de toutes les Vierges & martyres, que la vive foy enfonce ses racines avant dedans nos coeurs, la fervente charité flambe de plus en plus en nostre ame & la ferme esperance prenne ses accroissemens de jour en jour en nous : à ce que par ces Sainctes vertus, & votre secours special nous obtenions le bien de jouïr de votre fils, & de vous voir notre Saincte maistresse à qui nous voüons tres-volontiers nos volontez pour jamais.            Ainsi soit-il.


APPROBATION.

CE present traicté ne contient point d’erreurs. Il n’y à rien qui ne soit conforme à la doctrine de l’Eglise. Faict à Roüen le troisiesme jour de Juin.    1615.

    Signé,            GUYION.
            Vicaire General.



Notes :
(1) Sur ces initiales, voyez l’Introduction, p. XXX.
(2) Le Discours comprend huit pages. Il se compose de maximes tirées de la Bible et d’allégories ; une citation empruntée à Pline vient s’y mêler.
(3) Noble homme Jean le Bys, sieur de Fontenay, est l’éditeur de cet opuscule. On le trouve sous le nom de M. de Fontenay dans diverses brochures qui sont relatives à Notre-Dame-de-Grâce.
(4) Saint-Jean-Baptiste, son patron ; saint François d’Assise, patron des Capucins. Ce passage nous prouve le fait que ces religieux étaient établis à Honfleur à la fin de l’année 1614.
(5) Sans doute le plus ancien ex-voto qui ait été «attaché» dans la nouvelle chapelle de Notre-Dame-de-Grâce.
(6) Jean le Bys, sieur de Fontenay.
(7) Il faut lire : François de Chauvin, sieur de Tonnetuit. Tortuict est une faute typographique pour Tontuict ou Le Tontuit, forme que l’on trouve dans le pouillé de Lisieux. Tonnetuit était une paroisse qui a été réunie à Saint-Benoît-d’Hébertot, en 1827.
(8) La barque se nommait la Bonne Adventure, du port de 100 tonnes. Ce navire était armé pour les îles du Pérou, Brésil et autres lieux. Les îles du Pérou désignent une partie des Antilles.
(9) Les documents font connaître deux personnes du nom de La Rocque en résidence à Honfleur à la même époque, c’est-à-dire en 1614 et 1615 : 1° Etienne de la Rocque, écuyer, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, gouverneur de Honfleur (1602-1619) ; 2° Gabriel de la Rocque, écuyer. L’un et l’autre avaient consenti des prêts d’argent à profit sur le navire la Bonne Adventure. Etienne de la Rocque avait même acheté un demi-quart de ce navire.
(10) Georges de Naguet, écuyer, sieur de Saint-Georges, capitaine en la marine, achetait un seizième du navire la Bonne Adventure, le 7 février 1616.
(11) Vers la fin du mois de septembre 1614. Le navire fut désarmé et le voyage remis à l’année suivante.
(12) Lire : « la surveille de la Magdelaine », 20 juillet.
(13) Fontaine-la-Louvet, cant. Thiberville, arr. Bernay (Eure).
(14) Dimanche, 21 août 1614.
(15) Guillaume IV de Hautemer, comte de Fervacques, maréchal de France, né en 1538, mort en novembre 1613. Il servit aux batailles de Renty (1544), Saint-Quentin (1557), Gravelines (1558), Dreux (1562) et Saint-Denis (1567). Lieutenant général en Normandie. Maréchal de France en 1597. (P. Anselme, Hist. généal. et chronol. t. VII, p. 393).


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