Avant-Propos
Ce livre d'Edmond Noguères n'est pas une perle de la littérature. Cependant il est intéressant en tant que témoignage de l'intense émotion suscitée par les massacres d'Arméniens, à la fin du XIXe siècle. En Suisse, une pétition avait recueilli près d'un dem-million de signatures pour attirer l'attention des autorités sur les massacres de 1896. Et le livre de Noguères naît à Genève, traditionnelle cité d'accueil des persécutés, ville de Henry Dunant, du Comité des Cinq, puis de la Croix-Rouge, des Conventions de Genève et d'utopies de paix universelle.
En 1897, il n'est pas question, évidemment, du colossal génocide arménien de 1915. Il s'agit en cette fin de XIXe siècle de tortures et de massacres de routine de quelques dizaines ou centaines de milliers de personnes de temps en temps, par-ci par-là. La communauté internationale a mis un certain temps à s'émouvoir comme on peut s'en rendre compte en lisant les journaux de l'époque. La passivité n'a d'ailleurs pas changé au XXe siècle ni même au XXIe et les sous-hommes sadiques pervers polymorphes assoiffés de sang et de tortures ont encore de tranquilles opportunités devant eux.
L'auteur a compilé des informations à partir de diverses sources que l'on peut retrouver aujourd'hui grâce à l'Internet - avant d'aller faire de nécessaires vérifications en bibliothèque sur des documents imprimés. Les plus intéressantes sources sont:
Dr Johannes Lepsius "Rapport sur la situation du peuple arménien en Turquie", Tempelverlag, Potsdam 1916 "strictement confidentiel" (traduit de l'allemand).
Mgr Félix Charmetant, "Martyrologe arménien. Tableau officiel des massacres d'Arménie dressé après enquêtes par les six ambassades de Constantinople, et statistique dressée par des témoins oculaires grégoriens et protestants des profanations d'églises, assassinats d'ecclésiastiques, apostasies forcées, enlèvements de femmes et jeunes vierges", Bureau des Œuvres d'Orient, 1896.
et l'on peut aussi consulter les archives des journaux de l'époque désormais mises en ligne.A plusieurs reprises l'émotion emporte E. Noguères et ses commentaires desservent la cause qu'il soutient d'une façon manichéenne et bornée. Les louanges adressées à ceux qu'il attaque sont aussi rares que les critiques adressées à ceux qu'il défend. Il semble oublier qu'il y a sans doute autant d'appels à la violence dans l'Ancien Testament que dans le Coran et que les catholiques n'ont pas été moins cruels en Amérique latine que les musulmans dans l'Empire ottoman. La virulence de ses propos à l'égard de la Sublime Porte atteint presque celle du mépris des Jeunes Turcs ou des kémalistes à l'égard du pouvoir ottoman. Toutefois, dans un passage plus serein, l'auteur se rend compte que les responsables ne sont pas les Turcs, écrasés par le régime comme les autres sujets du sultan, mais celui que Gladstone a appelé le Grand Assassin. En fin de compte, les dérapages dans les commentaires ne diminuent pas l'intérêt du travail de mémoire et de recensement des événements.