LEMAÎTRE,
Charles Ernest (1854-1928) : Les Joyeux Bocains
: contes drolatiques en patois bas-normand / par
Ch. Lemaître, le Chansonnier du Bocage ; préface
d'Arthur Marye, illustrations de Levavasseur et R. Thurin. - Caen :
Bonnaventure : Jouan, [1917].- 155 p.- pl. h. t. , ill. ;
24 cm .
Saisie du texte : S. Pestel et O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (29.IV.2006) Relecture : Anne Guézou. Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : Norm 299)
Les
Joyeux Bocains
contes drolatiques en patois bas-normand par Charles Lemaître, le Chansonnier du Bocage AVANT
DE RIRE
Voici des contes. Ils sont en
vers et en vers patois, s'il vous
plaît ! De par cette double façon
d'être, ils échappent déjà
à la banalité, n'est-il pas vrai ? Mais quand
vous saurez qu'ils ont été écrits par
notre brave chansonnier du Bocage, « le
père
Lemaître », vous
penserez avec raison qu'ils sont
du meilleur crû : originaux, gais, exhilarants
même, pétillants de malice et d'esprit. Vous ne
vous tromperez pas, ils ont ces qualités-là et
bien d'autres encore. « Le père
Lemaître
» a fait
dès longtemps ses preuves. Les oeuvres
nombreuses qu'il a signées sont connues,
répandues et appréciées à
la fois, d'abord pour leur curieuse forme patoise, ensuite pour la joie
simple et franche, pour la bonne humeur qu'engendre leur lecture ou que
provoque leur audition. Lisez ou récitez en public une de
ces petites pièces rimées où le
curieux langage du Bocage normand accumule ses subtilités,
ses tournures imprévues et cocasses, ses termes
savoureusement descriptifs et vous serez certains de retenir votre
auditoire, de l'intéresser fortement et, comme eût
dit maître François Rabelais, de le faire
« soubdain demourer quoy et joyeux ».
Mais, cette fois, ce n'est plus de chansons ni de monologues qu'il s'agit. « Le père Lemaître » a délaissé ses chalumeaux rustiques pour accorder le rebec des ménestrels. LES JOYEUX BOCAINS sont des récits de plus longue haleine et, j'aime mieux vous le dire tout de suite, car vous vous en seriez sûrement aperçus bientôt, leur qualité essentielle est d'être grivois. Eh! oui, leur qualité, car c'en est une en nos époques de pudibonderie excessive que d'oser, à l'exemple de nos grands aïeux, se gaudir d'histoires aimablement polissonnes et d'appeler parfois les choses par leur nom. Nos générations moroses et positives ne savent plus rire ; « le père Lemaître », lui, sait encore et, en l'écoutant conter, nous pouvons retrouver le secret perdu de la gaîté d'antan. Il ne faudrait d'ailleurs pas croire que le genre grivois soit un genre inférieur. Sans doute il touche à l'érotique, mais ne tombe jamais dans l'obscène. C'est même là sa marque distinctive, et c'est en quoi réside l'aimable vertu de ces contes qui n'ont rien de commun avec la basse farce ou les malsaines élucubrations de certains écrivains sans délicatesse. De tous temps le genre grivois a inspiré les meilleurs esprits, et il a fait naître parfois de véritables chefs-d'oeuvre. Sans passer pédantesquement en revue la série des érotiques grecs et romains ; je me permettrai néanmoins de rappeler que le fameux « Satyricon » de Pétrone est un ouvrage grivois dont, après des siècles, la lecture peut encore procurer de l'agrément. Au Moyen-Age, les Italiens eurent Boccace et ses contes si pimpants, si alertes, si spirituellement pervers, qui vinrent bien à leur heure. Après avoir contribué à fixer la langue italienne encore incertaine, ils ont passé dans toutes les autres langues et sont restés comme un inépuisable fonds d'inventions et de traditions joyeuses où des milliers d'écrivains n'ont cessé de puiser. Nous autres, Français, nous eûmes aussi, sinon un « Décaméron », du moins un « Heptaméron », oeuvre fâcheusement inachevée de cette reine de Navarre qui, au seizième siècle, occupait ses loisirs à fixer sur le vélin les aventures galantes qu'on vivait en son temps. Il y avait eu, du reste, d'autres précurseurs dans le genre. Béroalde de Verville et son « Moyen de parvenir », un des ouvrages les plus curieux de notre langue, venaient après Rabelais et son immortel Gargantua qui, après plus de quatre cents ans, demeure comme un monument impérissable de la littérature universelle. Rabelais lui-même devait connaître les « Contes dévots » qui, au XIIIme et XIVme siècles, tirent les délices de nos ancêtres, et les « Baliverneries d'Eutrapel », ce recueil pittoresque qui fut l'oeuvre de maître Noël du Fail, un auteur presque normand, car il était de Rennes. A partir du XVIe siècle, le branle était donné et la littérature grivoise comptait de nombreux adeptes. Faut-il citer Aimé Piron, le père de l'auteur plus célèbre de la « Métromanie », un poète bourguignon qui, comme notre Lemaître, écrivait ses contes dans le patois de son village ; l'abbé de l'Atteignant, l'auteur de notre fameuse chanson : « J'ai du bon tabac », et les autres membres du Caveau, ce premier des cabarets artistiques, ancêtre des « boîtes » montmartroises ; Collé, l'auteur du « Mariage sans curé », de « l'Amant poussif », de « l'Accouchement invisible » ; Charles Rivière-Dufresny et ses « Amusements sérieux ou comiques » ; Vadé, qu'on surnomma le « Callot de la poésie », et qui, comme le puissant graveur auquel on le comparait, ne dédaignait pas de descendre au détail pittoresquement égrillard ! C'est ce Vadé, l'auteur de la « Pipe cassée », poème épitragi-poissardi-héroï-comique, qui mit à la mode le langage poissard parmi les beaux esprits de son temps, comme « le père Lemaître » met à la mode le patois de Vire. On parla « poissard » alors, jusque dans le boudoir des duchesses et des courtisanes, et si, de nos jours, il en existait encore, courtisanes et duchesses pourraient s'amuser sans déchoir à parler la langue non moins colorée dont use magistralement l'auteur de ce volume. Ne pourrais-je encore en citer d'autres ? Panard, le prédécesseur de Désaugiers et de Béranger - encore des auteurs grivois, ceux-là ! C'était ce Panard à qui on reprochait de présenter souvent des manuscrits tachés de vin : « Prenez, disait-il, c'est là le cachet du génie ! » je suis sûr que, plus d'une fois, une tache de « gros beire » a pu jaunir aussi les manuscrits du « père Lemaître », mais ce cachet de pur « normandisme » ne doit-il pas contribuer à nous les rendre plus précieux ? Et plus tard, de nos jours, parmi la brillante pléiade des écrivains romantiques, ne voyons-nous point que plus d'un s'essaya avec succès au genre grivois. Musset lui-même, l'élégiaque et tendre poète, en fit l'occasion de quelques adorables et pervers péchés de jeunesse. Plus près de nous encore, Théodore de Banville, Catulle Mendès, Armand Sylvestre et presque tous les Parnassiens ne s'érigèrent-ils pas en maîtres de ce genre ? C'est à dessein que j'ai négligé, à son rang chronologique, le prodigieux conteur grivois que fut Honoré de Balzac, car c'est lui qui me fournira la conclusion de cette trop longue préface où, par bonheur, le lecteur a pu négliger de s'attarder. L'immortel auteur de la « Comédie humaine » fut aussi, ne l'oublions pas, l'éblouissant et érudit narrateur de ces « Contes drôlatiques », pastiches savants des vieux prosateurs français, qu'il composa « pour l'esbattement des Pantagruélistes et non aultres ». Balzac maniait la langue du XVIe siècle comme, dans ce volume, « le père Lemaître » parle le jargon Virois, et j'oserai ajouter, pour pousser plus loin le parallèle, que LES JOYEUX BOCAINS pas plus que les « Contes drôlatiques » ne sauraient être mis entre toutes les mains. La mère
en prescrira la lecture à sa fille,
disait Piron en s'illusionnant singulièrement sur le genre d'intérêt de ses aimables grivoiseries. « Le père Lemaître », lui, n'a pas cette prétention ; il saura se contenter de la curiosité des bibliophiles, et de la sympathie des Normands ses compatriotes. Il se ralliera sûrement, ainsi que votre serviteur, à une autre appréciation sur son ouvrage, en disant comme M. de Balzac : « Lisez ceci plus tost à la nuit que pendant le jour et point ne le donnez aux pucelles, s'il en est encores, pour ce que ce livre prendrait feu ». ARTHUR
MARYE.
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A mes Lecteurs
Il me plaît d'évoquer de lointaines images, J'ai le culte profond des anciens horizons ; D'un livre déjà lu, j'aime à revoir les pages, Et mon âme s'émeut à nos vieilles chansons. J’aime, de nos aïeux, les légendes rustiques, Divertissants échos des anciens troubadours, Par la tradition, venus jusqu'à nos jours, Et parmi, j'ai glané ces « contes drôlatiques ». CH. LEMAITRE. ~
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NOTE DE L'AUTEUR Lorsqu'on veut orthographier notre patois bocain, de façon à le rendre compréhensible, on se trouve en présence de sérieuses difficultés. J'ai essayé de suivre des règles établies par quelques érudits et le résultat obtenu ne m'ayant pas satisfait, j'ai adopté, tout en respectant le plus possible l'étymologie des mots, une orthographe simplement phonétique, de sorte qu'en prononçant tel que j'ai écrit, on parle exactement comme un Bocain d'Aunay-sur-Odon ou de Villers-Bocage. Parmi les mots très usuels, difficiles à écrire correctement en patois, je place au premier rang les pronoms, personnel et possessif, « vous et vos, » qu'en patois on prononce tous les deux « vo ». Exemple :
« j' vo
d'mand' pardon » pour
« je vous
demande pardon ».
do : « Eiou qu' sont vo pétiots ? » pour « où sont vos enfants ? Toutefois, lorsque « vo » est suivi d'un mot commençant_par une voyelle, j'ajoute un « s » pour faire la liaison. Exemple : pour le
français « vous avez
», j'écris « vos avé
» qui se prononce « vo z'avé
».
Vous remarquerez aussi que dans : « avez » « allez » « pouvez », ou tout autre verbe à la 2e personne du pluriel de l'indicatif, je supprime le z qui allonge la prononciation française et je le remplace par un « é » qui donne exactement l'accentuation patoise ; j'écris donc « vos allé » « vos avé » ou « vo pouvé ». C'est pour le même motif que je supprime l's dans « les, tes, mes » et que j'écris « lé, té, mé ». Exemple : « lé gas, té petiots, dé pommes » qui rendent exactement la prononciation patoise. « No », qui revient très fréquemment dans ce volume, signifie également « on », comme dans : « no s'amuse » ou « no travaille » et « nos » comme dans : « no poules » et « no lapins », j'y ajoute également un « s » lorsqu'il est suivi d'un mot commençant par une voyelle comme dans : « nos avait » ou « nos amis », qu'on prononce « no z'avait » et « no z' amis ». Le « tch », dans certains mots commençant par « cu », tel que curé que j'écris « tchuré », n'est mis là que pour forcer la prononciation bizarre de ces mots, que la majeure partie des Normands étend aux mots commençant par « qu » tels que « qui, quelle », qu'ils ne prononcent pas « ki ou kelle », mais bien avec une espèce de sifflement mouillé rappelant un « p'schitt » qui commencerait par un « q ». N'ayant pas la prétention d'établir ici une grammaire bocaine, je borne aux quelques indications qui précèdent, l'explication de ma façon d'orthographier. J'ai, dans tous les cas, fait mon possible pour bien me faire comprendre de mes lecteurs et j'espère qu'ils voudront bien tenir compte de mes efforts pour y parvenir. Caen, le 10 juillet
1917.
Ch. LEMAITRE.
TABLE
DES MATIÈRES
Préface - Tibi Georgette ! - La
Confession à
Véronique - Leçon de politesse - L' clou
à Locadie
- Faut que j' tabate ! - Le Temple de l'Amour - Fais
li vée
! - Le Pain bénit - Le Goulu attrapé - Les
Oies
perdues - L'
Divertisseux - Le Bénitier gelé - Arthémise la mal
servie - Confiance céleste - Le Beurre malpropre - L'abbé
Trupot - La Veuve inconsolable - Le Haut-du-Temps - Le
Bras tendu et la
goule ouverte - Lé Chendres - L' Voleux d' pain - Fanchon
Cliquet - La Catoueilleuse - Le Chapelet - La
Migraine.
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