LETTRE X.
MIRZA A SON AMI USBEK.
A Erzeron.
Tu étais le seul qui pût me dédommager de l'absence de Rica; et il n'y avait que Rica qui pût me consoler de la tienne. Tu nous manques, Usbek: tu étais l'âme de notre société. Qu'il faut de violence pour rompre les engagements que le coeur et l'esprit ont formés!
Nous disputons ici beaucoup; nos disputes roulent ordinairement sur la morale. Hier on mit en question si les hommes étaient heureux par les plaisirs et les satisfactions des sens, ou par la pratique de la vertu. Je t'ai souvent ouï dire que les hommes étaient nés pour être vertueux, et que la justice est une qualité qui leur est aussi propre que l'existence. Explique-moi, je te prie, ce que tu veux dire.
J'ai parlé à des mollaks, qui me désespèrent avec leurs passages de l'Alcoran: car je ne leur parle pas comme vrai croyant, mais comme homme, comme citoyen, comme père de famille. Adieu.D'Ispahan, le dernier de la lune de Saphar, 1711