LETTRE LXXXII.
NARGUM, ENVOYE DE PERSE EN MOSCOVIE
A USBEK.A Paris.
De toutes les nations du monde, mon cher Usbek, il n'y en a pas qui ait surpassé celle des Tartares, ni en gloire, ni dans la grandeur des conquêtes. Ce peuple est le vrai dominateur de l'univers; tous les autres sembles être faits pour le servir: il est également le fondateur et le destructeur des empires; dans tous les temps il a donné sur la terre des marques de sa puissance; dans tous les âges, il a été le fléau des nations.
Les Tartares ont conquis deux fois la Chine, et ils la tiennent encore sous leur obéissance.
Ils dominent sur les vastes pays qui forment l'empire du Mogol.
Maîtres de la Perse, ils sont assis sur le trône de Cyrus et de Gustape. Ils ont soumis la Moscovie. Sous le nom de Turcs, ils ont fait des conquêtes immenses dans l'Europe, l'Asie et l'Afrique; et ils dominent sur ces trois parties de l'univers.
Et, pour parler de temps plus reculés, c'est d'eux que sont sortis presque tous les peuples qui ont renversé l'empire romain.
Qu'est-ce que les conquêtes d'Alexandre, en comparaison de celles de Genghiscan. Il n'a manqué à cette victorieuse nation que des historiens, pour célébrer la mémoire de ses merveilles.
Que d'actions immortelles ont été ensevelies dans l'oubli! que d'empires par eux fondés, dont nous ignorons l'origine! Cette belliqueuse nation, uniquement occupée de sa gloire présente, sûre de vaincre dans tous les temps, ne songeait point à se signaler dans l'avenir par la mémoire de ses conquêtes passées.De Moscou, le 4 de la lune de Rebiab1, 1715.