INTRODUCTION
(1721)
Je ne fais point ici l'épître dédicatoire, et je ne demande point de protection pour ce livre: on le lira, s'il est bon; et s'il est mauvais, je ne me soucie pas qu'on le lise.
J'ai détaché ces premières lettres, pour essayer le goût du public: j'en ai un grand nombre d'autres dans mon portefeuille, que je pourrais lui donner dans la suite.
Mais c'est à condition que je ne serai pas connu: car, si l'on vient à savoir mon nom, dès ce moment je me tais. Je connais une femme qui marche assez bien, mais qui boite dès qu'on la regarde. C'est assez des défauts de l'ouvrage, sans que je présente encore à la critique ceux de ma personne. Si l'on savait qui je suis, on dirait: Son livre jure avec son caractère, il devrait employer son temps à quelque chose de mieux, cela n'est pas digne d'un homme grave. Les critiques ne manquent jamais ces sortes de réflexions, parce qu'on les peut faire sans essayer beaucoup son esprit.
Les Persans qui écrivent ici étaient logés avec moi; nous passions notre vie ensemble. Comme ils me regardaient comme un homme d'un autre monde, ils ne me cachaient rien. En effet, des gens transplantés de si loin ne pouvaient plus avoir de secrets. Ils me communiquaient la plupart de leurs lettres; je les copiai. J'en surpris même quelques-unes dont ils se seraient bien gardés de me faire confidence, tant elles étaient mortifiantes pour la vanité et la jalousie persane.
Je ne fais donc que l'office du traducteur: toute ma peine a été de mettre l'ouvrage à nos moeurs. J'ai soulagé le lecteur du langage asiatique autant que je l'ai pu, et l'ai sauvé d'une infinité d'expressions sublimes, qui l'auraient envoyé jusque dans les nues.
Mais ce n'est pas tout ce que j'ai fait pour lui. J'ai retranché les longs compliments, dont les Orientaux ne sont pas moins prodigues que nous; et j'ai passé un nombre infini de ces minuties qui ont tant de peine à soutenir le grand jour, et qui doivent toujours mourir entre deux amis.
Si la plupart de ceux qui nous ont donné des recueils de lettres avaient fait de même; ils auraient vu leur ouvrage s'évanouir.
Il y a une chose qui m'a souvent étonné: c'est de voir ces Persans quelquefois aussi instruits que moi-même des moeurs et des manières de la nation, jusqu'à en connaître les plus fines circonstances, et à remarquer des choses qui, je suis sûr, ont échappé à bien des Allemands qui ont voyagé en France. J'attribue cela au long séjour qu'il y ont fait: sans compter qu'il est plus facile à un Asiatique de s'instruire des moeurs des Français dans un an, qu'il ne l'est à un Français de s'instruire des moeurs Asiatiques dans quatre; parce que les uns se livrent autant que les autre se communiquent peu.
L'usage a permis à tout traducteur, et même au plus barbare commentateur, d'orner la tête de sa version, ou de sa glose, du panégyrique de l'original, et d'en relever l'utilité, le mérite et l'excellence. Je ne l'ai point fait: en on devinera facilement les raisons. Une des meilleures est que ce serait une chose très ennuyeuse, placée déjà dans un lieu très ennuyeux de lui-même, je veux dire une préface.