LETTRE XVII.
USBEK AU MEME.
Je ne puis, divin mollak, calmer mon impatience: je ne saurais attendre ta sublime réponse. J'ai des doutes, il faut les fixer: je sens que ma raison s'égare; ramène-la dans le droit chemin; viens m'éclairer, source de lumière; foudroie avec ta plume divine les difficultés que je vais te proposer; fais-moi pitié de moi-même, et rougir de la question que je vais faire.
D'où vient que notre législateur nous prive de la chair de pourceau, et de toutes les viandes qu'il appelle immondes? D'où vient qu'il nous défend de toucher un corps mort, et que, pour purifier notre âme, il nous ordonne de nous laver sans cesse le corps? Il me semble que les choses ne sont en elles-mêmes ni pures ni impures: je ne puis concevoir aucune qualité inhérente au sujet qui puisse les rendre telles. La boue ne nous paraît sale que parce qu'elle blesse notre vue, ou quelque autre de nos sens; mais, en elle-même, elle ne l'est pas plus que l'or et les diamants. L'idée de souillure contractée par l'attouchement d'un cadavre ne nous est venue que d'une certaine répugnance naturelle que nous en avons. Si les corps de ceux qui ne se lavent point ne blessaient ni l'odorat ni la vue, comment aurait-on pu s'imaginer qu'ils fussent impurs?
Les sens, divin mollak, doivent donc être les seuls juges de la pureté ou de l'impureté des choses? Mais, comme les objets n'affectent point les hommes de la même manière; que ce qui donne une sensation agréable aux uns en produit une dégoûtante chez les autres, il suit que le témoignage des sens ne peut servir ici de règle, à moins qu'on ne dise que chacun peut à sa fantaisie décider ce point, et distinguer, pour ce qui le concerne, les choses pures d'avec celles qui ne le sont pas.
Mais cela même, sacré mollak, ne renverserait-il pas les distinctions établies par notre divin prophète, et les points fondamentaux de la loi qui a été écrite de la main des anges?D'Erzeron, le 20 de la lune de Gemmadi 2, 1711