HISTOIRE DE LA RIME.
Les Gaulois (a) ont fait de la Poësie, & probablement elle étoit rimée. Plusieurs croient même que Bardus, l'un de leurs Rois, a trouvé la rime. Je n'ose dire cela, mais apparamment leurs vers rimoient. La rime a toujours été très-agréable aux oreilles des peuples, dont les vers n'ont pas été composés des mesures d'un certain nombre de syllabes longues & bréves. Les vers des Gaulois n'en avoient vraisemblablement point. Les Romains, de qui ils eussent pu apprendre, ne s'établirent dans les Gaules qu'environ soixante ans avant Jesus-Christ, & l'on n'y parla Latin que long-temps depuis. Il y eut alors d'excellents esprits Gaulois qui se divertirent à faire des vers Latins, mais cela n'empêcha point le cours de la rime. Comme parmi le peuple la Langue Gauloise subsistoit, & qu'elle dura jusques vers l'an 400. de N. S. il est probable que l'on continua tout ce temps-là d'y rimer. Ce fut ensuite la même chose. Les Gots, (b) qui ont toujours été de grands rimeurs, se répandirent dans les Gaules. Ils y corrompirent le Latin: ils y firent force vers rimés, & obligerent insensiblement les Gaulois de rimer a l'envi, & avec une ardeur toute nouvelle. La rime dès-lors fut plus en usage, & elle s'introduisit dans les Hymnes de l'Eglise. Après, si-tôt que les Francs, qui étoient des peuples d'Allemagne, se furent entierement emparés des Gaules, ils leur donnerent le nom de France: ils mêlerent plusieurs mots Francs au langage Gaulois, & la rime s'y continua, parce que les Francs rimoient eux-mêmes. On fit au sixieme siécle en faveur de l'un de nos Rois (c) quelques vers, qui se chantoient & se dansoient par-tout, & qui apparemment étoient rimés. Il est très-croyable qu'on rima aussi en Langue vulgaire sous les autres Rois, & principalement sous Charlemagne, qui aimoit les vers avec passion. Le Langage qui avoit cours étoit mêlé de Gaulois, de Franc & de Latin corrompu. Ce langage fut nommé Langage Romain, & l'on y composa de la Poësie jusques vers l'an 1050. La Langue venant alors à se défaire peu à peu de son air barbare, le Siécle eut des Poëtes qu'on appella Chanteres & Trouveres, & qui par la gentillesse de leurs rimes, porterent les Espagnols & les Italiens à les imiter. Le langage & la Poësie environ cent ans après se polirent encore. Les Poëtes dans l'arrangement des rimes ne gardoient aucune régle certaine. Comme c'étoit la coutume de mettre les vers en chant, on en saisoit le plus qu'on pouvoit sur les mêmes rimes, dans la pensée qu'ils seroient plus agréables à chanter, comme on le peut voir par ceux-ci de Jean le Nivelois, dans son Roman sur la mort d'Alexandre.
Seigneur, or faites pes un petit vous taisiez,
Sorez bons vers nouviaux, car li autres sont viez,
Bien faits & bien rimez, bien dits & bien dictiez,
Jean le Nivelois fut moult bien afectiez,
A son Hostel se sied, si fut joyaux, & liez,
Un Chantere li dit d'Alexandre à ses piez.Sous Louis IX. La versification fut plus exacte; & quelquefois on mêla régulierement les rimes masculines avec les féminines. Un couplet de chanson tiré du Recueil de Tribaud, Comte de Champagne, le fera voir.
Mout me scut bien éprendre & allumer,
En biau parler & acointement rire.
Nul ne l'oiroit si doucement parler
Qu'il ne cuidast de s'amour être Sire.
Par Dieu, amour, si vous ose bien dire:
On vous doit bien servir & honorer;
Mais on si peut bien d'un prou trop fier.En ce siécle on n'étoit point régulier dans les ouvrages de rimes suivies, & l'on n'a, ce semble, commencé qu'au régne de Charles VII. à mettre deux masculins après deux féminins. Ocatvien de Saint Gelais, qui traduisit en vers, par l'ordre de ce Prince, les Epîtres d'Ovide, s'est attaché avec soin à cette régularité. Exemple:
Puisique tu es de retour paresseux,
O Ulisses du coeur très-angoisseux,
Pénélope cette Epître t'envoie,
Afin que tost tu te mettes en voie.
Ne m'écris rien, mais penses de venir,
Seule à toi suis, aie en souvenir.
Troye gist bas & remise en foiblesse
Tant haïe des pucelles de Gréce,
Pas ne valoit, ni Priam son grand Roi
Que tant de gens y tinsent leur aroi.Fort peu de rimeurs en userent de la sorte sous les trois Rois qui succéderent à Charles VII. Mais du temps de François I. Octavien eut plus d'imitateurs. Sagon, & quelques Poëtes au Livre qui porte pour titre Le Coup d'Essai, imprimé en 1539, firent exactement suivre deux rimes masculines après deux féminines: & la piece qu'on y trouve intitulée le Rabais du caquet de Marot, est dans ces régles. Toutefois la pratique sûre & réguliere des rimes suivies & des rimes mêlées n'a commencé de se bien observer que pendant le régne de Charles IX. Par Ronsard & d'autres excellents esprits, & nous n'avons ajouté à leur maniere de rimes & d'arranger les rimes qu'un peu d'exactitude & de justesse.
(a) Jean le Maire de Belges, Illustration des Gaules.
Nostradamus, Histoire de Provence. I. p.
(b) Faucher, de la Langue & Poësie Françoise, l.I.c.7.
(c) De qua victoria carmen publicum juxta rusticitatem per omnium volitabat ora, & feminae canendo & plaudendo choros componebant. Duchesne, Hist. de France, tome I.