TRAITÉ
DE LA VERSIFICATION FRANÇOISE.LA Versification Françoise est l'art de bien faire des Vers François. Cet art consiste en deux choses; dans la structure des Vers, & dans la Rime. Il y a deux sortes de vers; les vers Masculins, & les vers Féminins (*). On appelle vers Féminins, ceux dont la derniere voyelle du dernier mot est un e muet, ou obscur; c'est-à-dire, qui ne se prononce presque point, comme dans Muse, Pere, &c. au lieu qu'on le prononce dans le mot bonté. Cette régle est universelle, soit qu'il y ait une s après l'e, comme dans Peres, Muses, soit qu'il y ait nt, comme dans le pluriel des verbes: différent, par exemple. Le dernier e de ce verbe ne se prononce presque pas, au lieu qu'il se prononce dans l'adjectif & dans le substantif différent.
On excepte de cette regle les imparfaits de la troisieme personne du pluriel, qui, finissant un Vers, le rendent Masculin, comme aimoient, charmoient, aimeroient, charmeroient, où la derniere syllabe est véritablement un e muet. La cause de cette exception est que cet e ne se prononce pas plus que s'il ne s'y trouvoit pas; & on ne l'a conservé dans l'orthographe, que parce qu'autrefois l'on prononçoit, & l'on écrivoit, j'aimoye, je charmoye, & au pluriel, ils aimoyent, ils charmoyent. Ce qui faisoit alors un vers Féminin, quand ces mots, & autres semblables finissoient le vers. Mais l'usage ayant voulu ensuite changer l'y, & l'e, en i, & en s; ces imparfaits, lorsqu'ils se trouvent à la fin du vers, l'ont rendu Masculin, malgré l'e, parce qu'il ne se prononce pas, comme je l'ai dit.Exemples des Vers Féminins.
Un Poëte à la Cour fut jadis à la mode;
Mais des Foux aujourd'hui c'est le plus incommode.
Et dans l'amas confus des chicanes énormes,
Ce qui fut blanc au fond, rendu noir dans les formes.
Des Voleurs, qui chez eux pleins d'espérance entrerent,
De cette triste vie enfin les délivrerent.
DESPRÉAUX.Les vers Féminins ont toujours une syllabe de plus que les Masculins, à cause de l'e muet de la fin, qui ne se prononce pas dans les premiers.
Les vers Masculins sont ceux qui finissent de quelqu'autre maniere que ce soit.Exemples des Vers Masculins.
Sous quel Astre, bon Dieu! faut-il que je sois né,
Pour être de Fâcheux toujours assassiné.
MOLIERE.C'est en vain qu'au Parnasse un téméraire Auteur,
Pense de l'Art des Vers atteindre la hauteur.
Que Rohaut vainement séche pour concevoir
Comment tout étant plein, tout à pu se mouvoir.
DESPRÉAUX.(*) Tabourot, dans ses Bigarures, en admet de quatre sortes; sçavoir, à Rimes Viriles, Masculines, Féminines, & Pucelles. Il appelle Rime Virile, celle dont la derniere syllabe, ne finissant pas par un e muet, a un son plein & entier, comme Thébain, dédain, amour, retour: Masculine, celle qui n'a pas un son si plein, comme cité, bonté: Féminine, toute syllabe qui peut être élidée, comme la derniere dans Ange, vue, joie, &c. Enfin, il appelle Pucelle, toute Rime, dont la derniere syllabe, étant un e muet, ne peut être élidée, comme femmes, prient, trouvent, voient, &c. Je ne connois que le seul Tabourot, qui admette cette distinction chimérique. Ce que l'on dit ici de la Rime, revient à peu près au même.