DU MÊLANGE DES RIMES.
Dans les Pieces régulieres, il est défendu de mettre de suite plus de deux rimes masculines, ou de deux rimes féminines. C'est Ronsard qui a introduit le premier mêlange des Rimes. Avant lui on avoit la liberté de faire tant de vers qu'on vouloit sur une même rime.
L'ordonnance des ouvrages de Poësie est ou à Rimes plates, ou à Rimes croisées, ou à Rimes mêlées: à Rimes plates, lorsque les vers de même rimes se suivent par couples, deux masculins, & deux féminins: à Rimes croisées, lorsqu'on entrelace les vers des deux especes, un masculin après un féminin, ou deux masculins de même rime entre deux féminins qui riment ensemble: à rimes mêlées, lorsque dans le mêlange des vers on ne garde d'autre régle que celle de ne pas mettre de suite plus de deux masculins, ou plus de deux féminins. Régle dont on se dispense quelquefois dans le vers familiers, pourvu cependant qu'ils soient tous sous une même terminaison, comme grandeur, douleur, fureur, &c.
Le Poëme Épique, la Tragédie, la Comédie, l'Élégie, l'Églogue se composent à rimes plates; l'Ode, le Sonnet, le Rondeau, la Balade, à Rimes croisées; les Fables, les Madrigaux, les Chansons à rimes mêlées. On emploie depuis quelques années cette derniére ordonnance dans l'Idylle; dans quelques piéces de Théatre, dans les Opéra, & dans tout ce qui est fait pour être chanté. Il faut observer qu'encore que deux Rimes féminines soient suivies ou entremêlées de deux masculines, les féminines qu'on emploie immédiatement après ne doivent pas être sur la même terminaison; c'est-à-dire, que si les deux Rimes ont été, par exemple, aimable & durable, & les deux masculines, grandeur & splendeur, on ne doit pas ensuite mettre pour rimes féminines, favorable & désirable, ni pour rimes masculines fureur & terreur, pas même au pluriel. On se dispense de cette régle dans les vers qu'on appelle irréguliers; c'est-à-dire, à rimes mêlées où cet amas de Rimes semblables, loin d'être un défaut, est quelquefois un agrément, & où, contre la pratique ordinaire, on souffre de temps en temps, comme on l'a vu plus haut, jusqu'à trois masculins & trois féminins consécutifs. Mais dans les vers à rimes suivies, autrement dites plates, on ne doit guère se dispenser de cette régle; & ce n'est que de loin à loin qu'on doit se permettre la répétition de ces sortes de rimes.
On a la liberté de commencer & de finir quelque Poëme que ce soit par des vers masculins, ou par des vers féminins indistinctement. De sorte que si l'on a commencé par des vers masculins, il est libre de finir par des masculins; & si l'on a commencé par des féminins, on peut finir de même par des féminins.