Observations diverses sur la Rime.
Le son des lettres c, g, q; du d & du t; de l'm & de l'n; de l's & de l'x, étant souvent le même, elles forment une bonne Rime. Exemple: Flanc, sang, rang; coq, roc, foc; boue, joug; Armand, amant; faim, humain; nous, doux, courroux, &c. La lettre p ne rime bien qu'avec elle-même. Ainsi la rime des vers suivants n'est pas exacte:
D'un triomphe pompeux l'appareil imposant
Hors de ces murs encor le retient dans son camp...
Ton bras est suspendu. Qui t'arrête? Ose tout:
Dans un coeur tout à toi laisse tomber le coup.
Mahomet II. de M. de la Nouë.La plupart de ces mots, lorsqu'ils sont au pluriel, riment fort bien avec d'autres pluriels qui n'ont pas les mêmes lettres. Exemples: Grands, sens, flancs, rangs, différens.
Il est sur l'Hélicon deux sommets différens,
Où chacun à l'envi brigue les premiers rangs.
M. l'Abbé du Resnel, Trad. de Pope sur la Critique.Jougs, courroux, nous; corps, accords, efforts, essors; écrits, mépris, &c. riment bien par cette raison. J'ai dit, la plupart de ces mots; car il n'en est pas ainsi de le lettre r, quoiqu'elle ne se prononce pas quelquefois, comme en dangers, qui ne rime pas avec outragés: malgré le sentiment du P. Buffier, qui prétend que cette régle n'est pas fort essentielle, même par rapport au singulier, où la rime d'un mot sans r, avec un autre qui a un r à la fin, est encore plus vicieuse. "Il en est de même, dit-il, des mots qui auroient la même prononciation, dont l'un s'écriroit par un r à la fin, & un autre sans cette r, comme danger & plongé. Cette régle qui s'observe communément, ne paroît pas néanmoins si essentielle". Elle est si essentielle, que je défie le P. Buffier de citer un Poëte qui s'en dispense; si ce n'est peut-être ceux qui retranchent de plusieurs mots les lettres qui ne se prononcent pas, comme on le pratique dans un ouvrage périodique, où l'on écrit rochés, qui pourroit alors fort bien rimer avec touchés. Mais je doute qu'une telle ortographe soit suivie de beaucoup de personnes. Dans une Ode aux Manes de Rousseau, qui se trouve au même Recueil, on fait rimer François avec fois. Ce qui ne peut qu'indigner les Manes de ce grand Poëte.