LXVIII - Pourquoi ce dénombrement des passions est différent
de celui qui est communément reçu.
Voilà l'ordre qui me semble être le meilleur pour dénombrer les passions. En quoi je sais bien que je m'éloigne de l'opinion de tous ceux qui en ont ci-devant écrit, mais ce n'est pas sans grande raison. Car ils tirent leur dénombrement de ce qu'ils distinguent en la partie sensitive de l'âme deux appétits qu'ils nomment l'un concupiscible, l'autre irascible. Et pour ce que je ne connais en l'âme aucune distinction de parties, ainsi que j'ai dit ci-dessus, cela me semble ne signifier autre chose sinon qu'elle a deux facultés, l'une de désirer, l'autre de se fâcher; et à cause qu'elle a en même façon les facultés d'admirer, d'aimer, d'espérer, de craindre, et ainsi de recevoir en soi chacune des autres passions, ou de faire les actions auxquelles ces passions la poussent, je ne vois pas pourquoi ils ont voulu les rapporter toutes à la concupiscence ou à la colère. Outre que leur dénombrement ne comprend point toutes les principales passions, comme je crois que fait celui-ci. Je parle seulement des principales, à cause qu'on en pourrait encore distinguer plusieurs autres plus particulières, et leur nombre est indéfini.