CLX - Quel est le mouvement des esprits en ces passions.
Au reste, il est aisé à connaître que l'orgueil et la bassesse ne sont pas seulement des vices, mais aussi des passions, à cause que leur émotion paraît fort à l'extérieur en ceux qui sont subitement enflés ou abattus par quelque nouvelle occasion: mais on peut douter si la générosité et l'humilité, qui sont des vertus, peuvent aussi être des passions, pour ce que leurs mouvements paraissent moins, et qu'il semble que la vertu ne sympathise pas tant avec la passion que fait le vice. Toutefois je ne vois point de raison qui empêche que le même mouvement des esprits qui sert à fortifier une pensée lorsqu'elle a un fondement qui est mauvais, ne la puisse aussi fortifier lorsqu'elle en a un qui est juste; et pour ce que l'orgueil et la générosité ne consistent qu'en la bonne opinion qu'on a de soi-même, et ne diffèrent qu'en ce que cette opinion est injuste en l'un et juste en l'autre, il me semble qu'on les peut rapporter à une même passion, laquelle est excitée par un mouvement composé de ceux de l'admiration, de la joie et de l'amour, tant de celle qu'on a pour soi que de celle qu'on a pour la chose qui fait qu'on s'estime; comme au contraire, le mouvement qui excite l'humilité, soit vertueuse, soit vicieuse, est composé de ceux de l'admiration, de la tristesse, et de l'amour qu'on a pour soi-même, mêlée avec la haine qu'on a pour ses défauts, qui font qu'on se méprise; et toute la différence que je remarque en ces mouvements, est que celui de l'admiration a deux propriétés: la première, que la surprise le rend fort dès son commencement, et l'autre, qu'il est égal en sa continuation, c'est-à-dire que les esprits continuent à se mouvoir d'une même teneur dans le cerveau, desquelles propriétés la première se rencontre bien plus en l'orgueil et en la bassesse qu'en la générosité et en l'humilité vertueuse; et au contraire, la dernière se remarque mieux en celles-ci qu'aux deux autres; dont la raison est que le vice vient ordinairement de l'ignorance, et que ce sont ceux qui se connaissent le moins qui sont le plus sujets à s'enorgueillir et à s'humilier plus qu'ils ne doivent à cause que tout ce qui leur arrive de nouveau les surprend, et fait que se l'attribuant à eux-mêmes, ils s'admirent, et qu'ils s'estiment ou se méprisent selon qu'ils jugent que ce qui leur arrive est à leur avantage ou n'y est pas. Mais, pour ce que souvent après une chose qui les a enorgueillis il en survient une autre qui les humilie, le mouvement de leurs passions est variable; au contraire il n'y a rien en la générosité qui ne soit compatible avec l'humilité vertueuse, ni rien ailleurs qui les puisse changer, ce qui fait que leurs mouvements sont fermes, constants et toujours fort semblables à eux-mêmes. Mais ils ne viennent pas tant de surprise, pour ce que ceux qui s'estiment en cette façon connaissent assez quelles sont les causes qui font qu'ils s'estiment; toutefois on peut dire que ces causes sont si merveilleuses (à savoir la puissance d'user de son libre arbitre, qui fait qu'on se prise soi-même, et les infirmités du sujet en qui est cette puissance, qui font qu'on ne s'estime pas trop) qu'à toutes les fois qu'on se les représente de nouveau, elles donnent toujours une nouvelle admiration.