CC - Pourquoi ceux qu'elle fait rougir
sont moins à craindre que ceux qu'elle fait pâlir.
Et les signes extérieurs de cette passion sont différents selon les divers tempéraments des personnes et la diversité des autres passions qui la composent et se joignent à elle: ainsi on en voit qui pâlissent ou qui tremblent lorsqu'ils se mettent en colère, et on en voit d'autres qui rougissent ou même qui pleurent; et on juge ordinairement que la colère de ceux qui pâlissent est plus à craindre que n'est la colère de ceux qui rougissent; dont la raison est que lorsqu'on ne veut ou qu'on ne peut se venger autrement que de mine et de paroles, on emploie toute sa chaleur et toute sa force dès le commencement qu'on est ému, ce qui est cause qu'on devient rouge, outre que quelquefois le regret et la pitié qu'on a de soi-même, pour ce qu'on ne peut se venger d'autre façon, est cause qu'on pleure: et, au contraire, ceux qui se réservent et se déterminent à une plus grande vengeance deviennent tristes de ce qu'ils pensent y être obligés par l'action qui les met en colère; et ils ont aussi quelquefois de la crainte des maux qui peuvent suivre de la résolution qu'ils ont prise, ce qui les rend d'abord pâles, froids et tremblants; mais, quand ils viennent après à exécuter leur vengeance, ils se réchauffent d'autant plus qu'ils ont été plus froids au commencement, ainsi qu'on voit que les fièvres qui commencent par le froid ont coutume d'être les plus fortes.