TROISIÈME PARTIE
DES PASSIONS PARTICULIÈRES
CXLIX - De l'Estime et du Mépris.
Après avoir expliqué les six passions primitives, qui sont comme les genres dont toutes les autres sont des espèces, je remarquerai ici succinctement ce qu'il y a de particulier en chacune de ces autres, et je tiendrai le même ordre suivant lequel je les ai ci-dessus dénombrées. Les deux premières sont l'estime et le mépris; car, bien que ces noms ne signifient ordinairement que les opinions qu'on a sans passion de la valeur de chaque chose, toutefois, à cause que, de ces opinions, il naît souvent des passions auxquelles on n'a point donné de noms particuliers, il me semble que ceux-ci leur peuvent être attribués. Et l'estime, en tant qu'elle est une passion, est une inclination qu'a l'âme à se représenter la valeur de la chose estimée, laquelle inclination est causée par un mouvement particulier des esprits, tellement conduits dans le cerveau, qu'ils fortifient les impressions qui servent à ce sujet; comme au contraire, la passion du mépris est une inclination qu'a l'âme à considérer la bassesse ou petitesse de ce qu'elle méprise, causée par le mouvement des esprits qui fortifient l'idée de cette petitesse.