LXXVI - En quoi elle peut nuire, et comment on peut
suppléer à son défaut et corriger son excès.
Mais il arrive bien plus souvent qu'on admire trop, et qu'on s'étonne en apercevant des choses qui ne méritent que peu ou point d'être considérées, que non pas qu'on admire trop peu; et cela peut entièrement ôter ou pervertir l'usage de la raison. C'est pourquoi, encore qu'il soit bon d'être né avec quelque inclination à cette passion, pour ce que cela nous dispose à l'acquisition des sciences, nous devons toutefois tâcher par après de nous en délivrer le plus qu'il est possible. Car il est aisé de suppléer à son défaut par une réflexion et attention particulière, à laquelle notre volonté peut toujours obliger notre entendement lorsque nous jugeons que la chose qui se présente en vaut la peine; mais il n'y a point d'autre remède pour s'empêcher d'admirer avec excès, que d'acquérir la connaissance de plusieurs choses, et de s'exercer en la considération de toutes celles qui peuvent sembler les plus rares et les plus étranges.