GOBLOT, Edmond (1858 - 1935)
"Qui a su prendre les mœurs de la bourgeoisie est bourgeois. Il n'a pas à faire oublier son humble origine; personne ne la lui reproche; il l'avoue sans embarras; il s'en fait gloire. Ce ne sont pas ceux-là qu'on appelle "parvenus"; ce sont ceux qui, entrés dans la classe bourgeoise par leur fortune ou par leur profession, n'y semblent pas à leur place. Ils en ont pris ce qu'ils ont su discerner des caractères superficiels; ce qui est profond ou subtil leur échappe: leur premier état transparaît. Une fortune rapidement acquise inspire-t-elle à un homme le désir de vivre bourgeoisement, son éducation s'y oppose; des manières "communes", des "vulgarités" le trahissent; il fait des impairs, des gaffes, des pataquès. Ou bien, s'il s'est adapté, sa femme ne l'a pas suivi. Car la principale difficulté de devenir bourgeois est qu'on ne le devient pas tout seul. Chacun appartient à une famille avant d'appartenir à une classe. C'est par sa famille que le bourgeois-né est bourgeois; c'est avec sa famille qu'il s'agit de le devenir. Il faut élever avec soi sa femme, ses père et mère, ses frères et sœurs, secouer son entourage, rompre avec certains amis ou les tenir à distance. Passer d'une classe dans une autre, c'est se dégager de l'ancienne, sans quoi on n'est pas accepté dans la nouvelle, qui n'admet pas une société "mêlée". Pour cela une ou deux générations sont souvent nécessaires."
Edmond GOBLOT, La Barrière et le niveau, étude sociologique sur la bourgeoisie française moderne, Paris, 1925, rééd. PUF 1967, p. 6. Source indirecte: Jean-Pierre CHALINE, "Qu'est-ce qu'un bourgeois ?", in L'Histoire, n°121, avril 1989, pp. 38-45.