ROBBE-GRILLET, Alain (1922 - 2008)
"Or le monde n'est ni signifiant ni absurde. Il est, tout simplement. C'est là, en tout cas, ce qu'il a de plus remarquable. Et soudain cette évidence nous frappe avec une force contre laquelle nous ne pouvons plus rien. D'un seul coup toute la belle construction s'écroule: ouvrant les yeux à l'improviste, nous avons éprouvé, une fois de trop, le choc de cette réalité têtue dont nous faisions semblant d'être venus à bout. Autour de nous, défiant la meute de nos adjectifs animistes ou ménagers, les choses sont là. Leur surface est nette, lisse, intacte, sans éclat louche ni transparence. Toute notre littérature n'a pas encore réussi à en entamer le plus petit coin, à en amollir la moindre courbe."
Alain Robbe-Grillet, Pour un Nouveau Roman (1963), Une Voie pour le Roman futur, éd. Minuit, p. 18."Avant l'oeuvre, il n'y a rien, pas de certitude, pas de thèse, pas de message. Croire que le romancier a "quelque chose à dire", et qu'il cherche ensuite comment le dire, représente le plus grave des contre-sens. Car c'est précisément ce "comment ", cette manière de dire, qui constitue son projet d'écrivain, projet obscur entre tous, et qui sera plus tard le contenu douteux de son livre. C'est peut-être, en fin de compte, ce contenu douteux d'un obscur projet de forme qui servira le mieux la cause de la liberté. Mais à quelle échéance?"
Alain Robbe-Grillet, Pour un Nouveau Roman, "Nouveau Roman, Homme nouveau", p. 121, éd. Minuit.